Par Erick CROIZÉ
L’eau courante ne coule pas encore aux robinets de la S.A.U.R. Les premiers clients ne seront servis qu’en 1938, et encore ! Sans parler des hameaux et des campagnes, en 1948, 10 ans après la mise en service du château d’eau, les riverains du Boulevard de Strasbourg réclament toujours d’être raccordés !
En 1925 donc, à plus forte raison, l’eau des puits est précieuse et celle des fontaines, presque sacrée, telles les fontaines à dévotion sublimées par les croyances populaires dont certaines sont antérieures au christianisme. On les nomme également bonne fontaine. Suivez le guide !
Bonne Fontaine est le nom de la rue qui, venant de Cholet, pénétrait le centre-ville jusqu’à la place centrale. Elle permettait aussi d’en sortir, les sens de circulations étant inconnus. C’était, au XVIIIe siècle, la rue la plus active, la plus construite, à égalité avec la Grande Rue. Elle s’appelait alors la rue des Trois moulins, moulins qui généraient une intense activité.
Les terrains des Minées, où se déroulaient les foires, longeaient cette rue, de l’actuelle rue de La Redoute au rond-point de Cholet. Dans le sens Est-Ouest, ils étaient compris entre l’actuelle rue des Minées et le boulevard Pascal. Avant même que le propriétaire de ces terres, le notaire Linné Biochaud, en fasse don au Secours Mutuel, créé en janvier 1820 par le Docteur Edouard Riou, maire de la ville, il y avait fait creuser un lavoir. Pas celui que vous connaissez mais quelque chose de plus rudimentaire : une douve.
Nous sommes en 1849. Le 17 juin, Linné Biochaud donne l’ordre à la ville d’établir, à ses frais, une douve de trois mètres de largeur sur une longueur de 54,40 mètres, le long de son terrier, sur le chemin du Gué. Un gué qu’avaient emprunté les troupes de Louis XIII, venant de Legé, pour franchir le ruisseau des Judices, détruisant au passage le château des Dablières, appartenant probablement à une famille protestante. Cette douve partait de l’abreuvoir à chevaux (actuel rond-point de Cholet) et descendait jusqu’au ruisseau. En place donc du chemin qui mène à l’actuel lavoir. Elle était bordée de magnifiques peupliers et sa profondeur était de 1,66 m. Lorsque le passage à gué ne sera plus nécessaire, le lieu deviendra le Guy.
Mais pourquoi un premier lavoir en ce lieu précis ? Pour protéger la bonne fontaine ! Car on y va pour laver son linge ou le rincer avec de l’eau propre – passant par la rue Bonne fontaine bordée jusqu’en 1874 de deux méchants fossés profonds de 30 à 35 centimètres où stagnent des eaux malodorantes. Et ce, malgré le règlement qui interdit cette pratique, promulguée lors d’une audience de police tenue par Monsieur le Sénéchal, le 29 juillet 1783 : « Défense de laver à la Bonne Fontaine de ce bourg, ni de jeter des immondices dans l’eau comme en déposer autour sous peine d’amende. Le procureur est informé que journellement, on lave et fait laver différents linges et que même, on le place tout mouillé sur la margelle de la fontaine ce qui ne peut être fait sans que les eaux en soient altérées, perdant par là leur bonne qualité si précieuse à la santé publique. Trois livres d’amende, double en cas de récidive, et pour la troisième fois, les contrevenants seront punis de prison. »
La bonne fontaine, dont l’eau est si précieuse, se trouverait actuellement sous l’hôpital. Elle fut déplacée pour sa construction et replacée à l’angle de la rue Bonne Fontaine et du Boulevard de l’Est, mais c’était alors l’eau du service d’eau qui alimentait la pompe à bras, installée en 1852. C’est cette pompe que l’on peut voir devant la Caisse d’Épargne. La source, elle, n’a pas suivi !
La fontaine et sa pompe doivent se défendre des contrevenants. Réputée excellente, elle alimente les porteuses d’eau. Elles sont au moins trois dans la seconde moitié du XIXe, dont la Mère Tougeron,à distribuer contre rémunération le précieux liquide dans la Grande Rue. Il existe bien des puits, privés ou communs dans certains quartiers, mais la qualité de l’eau que l’on en tire n’est pas toujours garantie.
La bonne fontaine et son environnement immédiat doivent donc être protégés. Et ce n’est pas toujours chose facile car c’est aussi l’endroit où s’arrêtent les « romanichels » et leurs verdines tirées par des bœufs, beaucoup plus souvent par un Irish Cob, cheval docile et solide d’origine irlandaise, sélectionné par les communautés nomades au XIXe.
Le stationnement, limité à 48 heures n’était guère respecté et les lavandières se plaignaient beaucoup de ce voisinage, autant que de la mauvaise qualité de l’eau du lavoir, mal conçu à moindre frais, où elle ne se renouvelait pas. Les algues et les herbes s’y développaient, comme aujourd’hui, et les maîtresses de maison s’accommodaient mal d’un linge malodorant.
Convoquée à la justice de paix de Challans
En 1925, l’année où l’on vit arriver les premières bananes sur les étals et à l’hôpital, les premières chutes dues aux peaux abandonnées sur les trottoirs, la ville a fort à faire pour imposer plus d’hygiène à ses administrés. Parmi ses projets, la construction de bains-douches populaires, entre l’hôpital et le stade des Mouclets. Le ministère de l’intérieur accorde, pour cet équipement, une belle subvention de 34 000 francs, soit la moitié du coût de la construction.
Mais les petits délits, telle « une savonnure » à la fontaine, doivent être punis, au moins pour l’exemple. Une coupable, Rose Vrignaud, sera convoquée à la justice de paix, au dernier étage de l’Hôtel de ville. Eugène Savariau, le juge, saura rendre la justice avec modération et condamnera la fautive à verser un franc. C’est symbolique mais surtout, pédagogique.
Si la fontaine du XIXe est donc encore visible, vous pouvez également voir le lavoir, restauré en 1988, mais n’allez pas y rincer votre linge ! Les pompiers qui eurent deux garages successifs dans ce quartier, avaient pour mission de nettoyer régulièrement le bassin. Les pompiers sont partis et les lavandières ont disparu.
N’empêche, il fait partie du circuit historique de la ville, et son bassin pourrait peut-être présenter un visage plus paysagé.
Pour finir, quelques suggestions pour vos savonnures : La Savonnerie de l’Île de Ré et son savon au lait d’ânesse, ou plus près, Kallawaya, une entreprise Challandaise qui produit des savons biologiques.
Notes
– Le legs de Monsieur Linné Biochaud des terrains des Minées comportait une clause : la construction d’un hôpital-hospice.
– Chaque canton était doté d’une justice de paix. Elles furent supprimées en 1958.
Sources : Shenov (Société d’Histoire et d’Etudes du Nord-Ouest Vendée).
© Erick CROIZÉ – Les Nouvelles de Challans.