Noël autrefois – La « Cosse de Nô » vue par l’abbé Prunier en 1893

L’an dernier, nous avions (re)découvert la tradition de la cosse de Nàu, cette grosse bûche que l’on faisait brûler à Noël, et dont on conservait quelques tisons afin « de se garer de la foudre, de protéger sa maison ou les récoltes… » Dans un ouvrage édité en 1893 : La Vendée avant 1793 – légendes et récits (1), une autre version en est donnée, plus chrétienne car rapportée par Pierre-Louis Prunier (1831-1904), chanoine du diocèse de Luçon, mais amusante, très détaillée, instructive…

(1) La Vendée avant 1793, soit avant la Révolution, quand elle était encore le Bas-Poitou.

Combat entre les bons anges et les esprits mauvais

Sous la plume de l’abbé Prunier, la cosse de Nàu, ou « cérémonie domestique de la Bûche de Noël, est connue en patois vendéen sous le nom de Cosse de Nô. La veille de Noël, à nuit close, on apporte au seuil de la cuisine du château ou de la ferme une énorme souche de chêne, attachée avec la corde du puits, dont on laisse pendre deux longs bouts [de chaque côté]. Maîtres et valets se partagent en deux bandes joyeuses, dont l’une représente les bons anges gardiens du logis, et l’autre, les esprits mauvais, qui ne cessent de conspirer dans l’ombre contre le bonheur de la famille. Les champions de chaque bande saisissent un des bouts de la corde et s’acharnent à tirer la bûche en sens opposé, les uns pour l’introduire dans la maison, les autres pour la retenir dehors… »

Comme une épreuve de tir à la corde autrefois… mais avec une bûche au milieu

La lutte est vive, accompagnée de clameurs, et finalement « comme dans toutes les batailles du bien contre le mal, après s’être balancée par des alternatives contraires entre les deux partis, la victoire définitive finît par rester du bon côté. Les bons anges sont les plus forts, et la bûche de Noël, qu’on vient d’enguirlander de rubans et de dentelles, comme l’enfant qu’on présente au baptême, est triomphalement portée sur l’âtre domestique… »

« Le chef de la famille s’avance alors avec solennité vers la bûche, comme le pontife patriarcal des anciens jours. Il l’asperge d’eau bénite avec un rameau de buis, la fait placer sur les grands chenets du foyer, puis, allumant un charbon, soigneusement conservé de la Noël précédente, il embrase peu à peu la souche massive. Pendant que la cosse de Nô, désormais sanctifiée, jette ses premières flammes ; pendant qu’elle fait entendre ses premiers pétillements et mille petits bruits harmonieux, qui s’en échappent comme une sorte de musique mystérieuse, le patriarche à genoux incline sa tête blanche devant le crucifix qui domine la vaste cheminée, et devant la statue noircie de la Vierge tenant l’enfant Jésus dans ses bras. » Après quoi il récite au nom de toute sa famille qui l’entoure le Pater et l’Ave Maria.

Une longue suite de vœux

A cette première cérémonie, grave, « en succède une autre d’un caractère différent, où la gaieté gauloise et l’humour bas poitevin reparaissent tout entiers : c’est un défilé de tout le personnel de la maison devant la bûche de Noël. Tous, maîtres et dames de la maison, enfants, valets et servantes, viennent à la file, un par un, mettre un genou à terre devant la bûche bénite, tracer sur elle un signe de croix, la frapper de quelques coups avec la pelle à feu, pour la faire bretonner (1) et lui exprimer, par trois cris, les vœux que chacun forme pour l’année. Le grand valet, chapeau bas, demande que les veaux se multiplient dans l’étable. Le grand berger, accompagné de son chien, souhaite que les agneaux pullulent dans la bergerie. La fille de peine souhaite la prospérité de sa basse-cour. Le second grand valet et les deux toucherons (2), le jardinier, le valet de la chevollaille (3), le petit berger, le petit vacher, la cuisinière et la chambrière viennent à leur tour invoquer les bons esprits pour le succès des affaires de leur département. »

(1) Bretonner, jeter des étincelles. L’étincelle est un breton, en bas-poitevin.
(2) Toucheron, bouvier qui dirige les bœufs à la charrue.
(3) Chevollaille, les chevaux.

Garous et Dames blanches…

« Ce gai cérémonial accompli, le reste de la veillée se passe en joyeux devis, en contes et en histoires désopilantes, extraordinaires, terribles, où les farfadets, les loups-garous, les dames blanches ne manquent jamais de jouer les principaux rôles. On y mêle toujours de pieux cantiques, ces Noëls naïfs et gracieux, dont le Poitou semble avoir été la terre classique » – les fameux Nàus, ou chants de Noël.

Un « garou » – d’après une gravure de Virgil Solis (1514-1562)
Le carbo de Nô

« Enfin, vers onze heures de la nuit, quand l’énorme bûche est tout en feu et bien carbonisée, on la plonge dans une cuve d’eau froide, où l’on a soin de jeter quelques gouttes d’eau bénite. La dame du logis en détache un morceau de charbon qu’elle enferme précieusement dans une boite, placée au-dessus du chevet de son lit. Après elle, chacun prend ainsi son carbo de Nô, et l’emporte avec soi. Ce sera comme un pieux talisman, pour préserver les personnes, les bestiaux et la maison tout entière contre l’influence des mauvais sorts.
« La veillée se termine par la prière en commun. Déjà, dans la campagne, on entend s’échapper de tous les clochers d’alentour les carillons et les volées triomphales des cloches, annonçant au loin, comme la voix des anges, la messe de minuit et la naissance du saint Enfant Jésus. On sort pour se diriger vers l’église de la paroisse, en se rassemblant de chaque manoir et de chaque chaumière, par groupes et par escouades nombreuses. Toutes ces caravanes en marche cheminent par tous les sentiers, vers un même point, le clocher paroissial, guidées par des flambeaux, qui leur donnent, dans les ombres de la nuit, l’aspect de longs rubans de feu… »

Sources : Pierre-Louis Prunier (archives départementales de la Vendée) ; Casden, histoire des sports ; recherches LNC.


© Les Nouvelles de Challans, 23 décembre 2022 – Didier LE BORNEC

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