Fin août 1906, de nombreux titres de la presse parisienne et régionale font part de « L’accident de M. de Baudry-d’Asson » ! Même le journal L’Humanité reproduit la dépêche, en supprimant simplement la particule du vieux marquis de La Garnache : « L’accident de M. Baudry-d’Asson. »
Armand de Baudry d’Asson était alors connu à Paris et dans toute la France, pour ses prises de position, interventions, et… plaisanteries à la Chambre des députés – il faisait ainsi parler de la Vendée, comme le fera plus tard Philippe de Villiers. L’Echo de Paris du 29 août commence sa brève par « Le député de la Vendée (1), célèbre par la fougue de ses interruptions, vient d’être victime d’un assez grave accident… »
(1) Léon, Armand, Charles de Baudry d’Asson (Rocheservière 1836 – La Garnache 1915) fut député de 1876 à 1914 – il venait d’être réélu le 6 mai 1906. Voir aussi : 1905 – Armand de Baudry d’Asson fait tomber le gouvernement… avec une casserole

L’Echo rochelais précise : « … Le député des Sables-d’Olonne se trouvait en promenade dans un petit « tonneau » à deux places, qu’il conduisait lui-même, en compagnie de son cocher, lorsque, sur la route de Machecoul à Challans, une automobile arrivant en sens contraire renversa le léger véhicule. M. de Baudry d’Asson et son serviteur, projetés sur le sol, furent tous deux sérieusement blessés. L’état du cocher, surtout, paraît assez grave, mais on n’est pas non plus sans appréhension au sujet du député, dont l’âge et la santé pourraient influer sur les suites de cet accident. »
On apprend par d’autres journaux que M. de Baudry d’Asson et son « domestique » furent transportés « dans la propriété [ou château] de M. Denêcheau (2), ancien député de l’Aisne, devant laquelle s’était produit l’accident. » L’Humanité minimise les faits : « Leurs blessures paraissent être de peu de gravité. L’automobile appartenait à M. Peneau, de Nantes ; les personnes qui s’y trouvaient n’ont pas été blessées. »
(2) Maurice Denécheau (républicain radical) fut député de l’Aisne du 28 mai 1893 au 31 mai 1906 – quatre mandats, – il demeurait à La Garnache à l’époque.

« Une côte fracturée, un poumon légèrement touché… »
L’Etoile de la Vendée du 2 septembre 1906 donnera plus de détails, avec des variantes – le siège du journal était alors aux Sables-d’Olonne :
« FAITS DIVERS »
« La Garnache. Accident d’automobile. – M. de Baudry-d’Asson, député de la Vendée, a été victime lundi à 11 heures [27 août, ndlr] d’un accident qui a donné pendant 24 heures des craintes sérieuses pour ses jours. En voiture, avec son cocher, qui conduisait lentement en arrivant au tournant de la route de Machecoul, M. de Baudry-d’Asson vit arriver vers lui une automobile qui crocheta dans le moyeu de la voiture, renversa la voiture et le cheval lui-même qui les traîna en se débattant.
M. de Baudry et son cocher purent se relever grâce à de bons cultivateurs qui se jetèrent sur le cheval et l’empêchèrent de se débattre davantage. La famille qui voyageait en auto sortit sans aucun mal, Mme Penault de Nantes et ses enfants. Quelques instants après, Mme Penault se présentait à la Cure où M. de Baudry est soigné, pour prendre de ses nouvelles. M. le Marquis, toujours galant et toujours noble, demanda qu’on la fit monter, et en l’assurant qu’il ne lui en voulait point, il lui serra la main. La dame parut fort émue.
M. de Baudry a une côte fracturée, un poumon légèrement touché, une plaie à la nuque, et des contusions diverses. Sauf complication il est hors de danger : MM. Guérin, de La Garnache, Dérotrie, de Challans, et Hurtaud de Nantes, nous ont rassurés. Le cocher Baptiste Piveteau, qui s’est trouvé un moment très mal, et qui a de fortes blessures au crâne, va réellement mieux, et, d’ici quelques jours pourra se lever. »

Rebondissement le 30 septembre
Cet accident est peu connu, voire inconnu de nos jours. Nous l’avons découvert, par hasard, en feuilletant la presse ancienne (sur RetroNews de la BnF). Et pourtant, les passionnés d’histoire locale… et même nationale, ont entendu parler d’une autre affaire, en lien avec ce fait divers, et touchant de nouveau Armand de Baudry d’Asson !
Le 30 septembre 1906, le Vendéen Georges Clemenceau, « Le Tigre, » devenu ministre de l’Intérieur, est en visite au pays où il est reçu en grande pompe. Il inaugure un hôpital à Montaigu, un « lycée de jeunes filles » à La Roche-sur-Yon, où se tiendra un gigantesque banquet prévu pour environ 2 500 invités ! dont M. de Baudry d’Asson… qui ne pourra y assister…

Dans Le Figaro…
Et le 1er octobre, on pourra lire dans Le Figaro (qui était peut-être l’un des rares journaux à n’avoir pas parlé de l’accident de Machecoul) : « M. de Baudry d’Asson n’assistait pas hier au banquet de La Roche-sur-Yon. Les différences d’opinion qui le séparent de M. Clemenceau suffiraient à expliquer cette abstention [Clemenceau était à la base radical de gauche, et Baudry d’Asson royaliste, conservateur, ndlr]. Elles l’expliquaient même si bien et si naturellement qu’on l’on n’eût peut-être pas songé à remarquer l’absence de l’honorable député si lui-même n’avait tenu à la souligner. Il l’a fait très gentiment et avec une amusante courtoisie, au moyen de cette dépêche dont M. Clemenceau donna lecture [ lecture « qui a provoqué une explosion d’hilarité… » selon la presse républicaine, ndlr] :
« Par suite d’un accident d’automobile, je ne puis, à mon regret, assister au banquet offert au ministre de l’intérieur.
Signé : DE BAUDRY D’ASSON.
« Cet accident d’automobile parut à tout le monde si ingénieux, si opportunément subi, que personne, parmi les convives, ne s’inquiéta outre mesure et ne quitta la table du banquet pour aller prendre des nouvelles du spirituel Vendéen.
« M. Clemenceau a adressé à M. Baudry d’Asson ce télégramme :
« Tous mes regrets, mon cher collègue. Mille amitiés.
Signé : CLEMENCEAU.
« Cet échange de paroles aimables est d’un bien bon augure pour la rentrée. »
Ce n’était pas certain…
Est-ce que le vieux marquis pouvait faire le voyage de La Garnache à La Roche un mois après son accident ? En tout cas, la presse prit cela pour un prétexte, et Clemenceau, qui était forcément au courant de la réalité de l’accident, se moqua pourtant de son rival au cours du banquet (peut-être un peu trop arrosé, selon la presse catholique), en disant par exemple, avant de lire le télégramme : « … un accident d’automobile nous a privé de la présence du dernier chouan… ! » Ce qui fera couler beaucoup d’encre encore…

Sources : Gallica BnF (RetroNews) ; archives de la Vendée ; Shenov ; documents et recherches LNC.
© Les Nouvelles de Challans, 21 mai 2025 – Didier LE BORNEC