1905 – Armand de Baudry d’Asson fait tomber le gouvernement… avec une casserole

Les casseroles reviennent sur le devant de la scène depuis le passage en force de la réforme des retraites. Avant cela, elles furent de sortie en 2017, à l’époque pour protester contre la candidature de François Fillon à la présidentielle ; il était alors accusé de complicité de détournement de fonds publics via son épouse Pénélope… Impossible pour lui d’apparaître en public sans être accueilli par un « concert de casseroles. » C’est le sort d’Emmanuel Macron actuellement…

Mais les casseroles « s’expriment » depuis beaucoup plus longtemps, et sont utilisées par tous les partis, de la droite à la gauche de l’hémisphère politique. Dans une émission d’Hélène Combie sur France-culture, l’historien Emmanuel Fureix expliquait que l’emploi de la casserole, dans ce rôle, « remonte au début de la Monarchie de juillet, dans les années 1830. » Et alors « Ce sont essentiellement les républicains, opposants au régime de Louis-Philippe, qui cherchent à faire entendre leur voix en empruntant en réalité à un rituel coutumier, bien connu des ethnologues, qu’on appelle le charivari… » chahut populaire qui nous vient du Moyen Age, temps où les « dispositif sonores portatifs » étaient plus libres…

D’un autre côté, des personnes peuvent aussi « traîner des casseroles. » C’est apparemment l’écrivain nationaliste Maurice Barrès qui employa le premier cette expression, en 1902, pour « taper » sur un autre auteur et journaliste : Émile Zola – lors de l’affaire Dreyfus. Barrès parlait de « s’attacher des casseroles à la queue, » comme les enfants le faisaient avec de pauvres chiens…

Puis en 1905, le député Garnachois Armand de Baudry d’Asson utilisa cet ustensile… d’une façon plus fantaisiste…

La casserole pour « coiffer un adversaire…»

Le marquis Armand de Baudry d’Asson avait pour devise « Dieu et le Roi. » Sous cette bannière, il devint Conseiller général du canton de Challans en 1871, puis député de la 2e circonscription de l’arrondissement des Sables-d’Olonne en 1876, toujours réélu jusqu’en 1914. Il sera aussi maire de La Garnache, de 1888 à 1892.

A la Chambre des députés, il siégea à l’extrême droite de l’époque, où il fut très actif, surtout pour s’opposer à la politique anticléricale de la majorité. « Il se signala par la fréquence et la vivacité de ses interruptions qui lui attirèrent, spécialement à la séance du 10 novembre 1880, la censure et l’exclusion temporaire. » Pourtant, il revint le jour suivant ! Le président Gambetta, qui l’avait en vain rappelé à l’ordre, leva la séance et l’invita à se retirer. Baudry d’Asson refusa, et vingt soldats, sans armes, furent chargés de faire exécuter le règlement. Après un échange de coups et une grosse bousculade, les soldats purent enfin saisir le député par les bras et les jambes, et l’emporter dans la chambre d’arrêt du palais : Baudry d’Asson fut le dernier député à y être enfermé. Il en ressortit le lendemain.

Le marquis Armand de Baudry d’Asson (d’après une photo de l’Agence Rol – Gallica BnF)

Armand de Baudry d’Asson pouvait aussi « porter à la tribune une demande d’un crédit de deux millions pour venir en aide aux ouvriers de Paris, » ou soutenir les droits sur les céréales afin de remédier à la crise agricole… tout en préconisant la restauration de la monarchie comme seul remède à la crise économique… Mais il resta célèbre pour ses coups d’éclat.

L’un des plus retentissants eut lieu le soir du 14 janvier 1905. Là encore il fit l’objet « d’une mesure de censure à la suite d’un incident provoqué par lui. » Ce jour-là, sur les bancs de l’Assemblée, les députés débattaient chaudement d’un scandale qui allait faire tomber le gouvernement du radical de gauche Émile Combes : « l’Affaire des fiches. » Président du Conseil et ministre de l’intérieur et des cultes, Émile Combes menait « une politique anticléricale brutale, » et son ministre de la Guerre, le général André, avait établi un système où l’avancement des officiers était subordonné à leurs opinions politiques et religieuses… consignées sur des fiches secrètes.

Ce 14 janvier, la séance reprend après une suspension, et le Journal officiel rapporte : « A ce moment M. de Baudry d’Asson s’approche du banc des ministres. – Vives exclamations. – Agitation prolongée. » Puis Émile Combes demande la parole : « Je déclare à la Chambre que je viens d’être l’objet d’une injure qu’il m’est impossible de tolérer ! » Cependant, Baudry d’Asson réclame lui aussi plusieurs fois la parole. On ne lui répond pas.

Le président de la Chambre, Paul Doumer, n’a rien vu et ne comprend pas ce qui se passe ; puis il est averti et lance : « Messieurs, un fait s’est produit qui n’avait pas encore été porté à ma connaissance… » Il demande alors la censure pour le député vendéen Baudry d’Asson…

« La casserole du père Baudry »

Le Journal officiel n’en dira pas plus, mais les journaux se feront largement l’écho du scandale, tel l’hebdomadaire parisien Le Monde illustré.

Le Monde illustré du 21 janvier 1905 : « M. de Baudry d’Asson, député de la Vendée, s’avançant vers M. Combes, président du Conseil, une casserole à la main… »

En 1905, Armand de Baudry d’Asson a 69 ans ; il est imposant, porte une longue barbe blanche… mais il a gardé une grande jeunesse d’esprit !

Ce 14 janvier, il se promène comme d’ordinaire « dans une ample jaquette… » mais sous laquelle il cache une casserole ! Son but : « en coiffer » le président du Conseil « pour éteindre sa trop dévorante flamme laïque ! » Mais d’autres députés l’arrêtent.

Détail de la une du Monde illustré (d’après un document des archives de la Vendée)

Pourtant, Claude Mercier raconte dans Étonnants vendéens : « C’est alors un branle-bas à Paris et dans l’Ouest : chansonniers et caricaturistes s’en donnent à cœur joie. On crée des casseroles miniatures que l’on attache à sa boutonnière : la casserole du père Baudry, » laquelle remplace presque le double cœur vendéen !

Et finalement, selon le Journal des débats politiques, même si elle n’en était pas véritablement la cause, cette casserole entra dans l’histoire comme symbole de la chute du gouvernement Combes, le 18 janvier suivant…

Le château de Fonteclose près du Vieux logis de Charette

Né à Rocheservière le 15 juin 1836, au château de la Touche, Armand de Baudry d’Asson est mort à La Garnache le 12 mai 1915. Il s’était installé à Fonteclose (où il avait fait bâtir une nouvelle demeure) après avoir épousé Marie Constance de La Rochefoucauld-Bayers, à qui le domaine appartenait. 

Sources : Claude Mercier ; France culture ; Assemblée nationale, Dictionnaire des parlementaires ; Henry de Woelmont ; Journal officiel – Chambre des députés : Compte rendu in extenso 1905 ; Journal des débats politiques et littéraires ; Gallica BnF ; archives départementales de la Vendée ; recherches LNC.


© Les Nouvelles de Challans, 25 avril 2023 – Didier LE BORNEC

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