Idéal du Gazeau (1974-1998) – Il était un petit cheval noir

Par Philippe GILBERT

Deux fois vainqueur du prestigieux Prix d’Amérique dans les années 1980, ce cheval de petite taille fut un des plus prestigieux trotteurs de la planète, à l’égal d’Une de Mai, autre cheval vendéen. Car Idéal du Gazeau était né dans les marais, à Sallertaine.

Les turfistes disaient de ce petit cheval noir (1,57 m), souvent surnommé « Petit bonhomme, » qu’il possédait « la cinquième vitesse, » cette capacité d’accélérer quand les autres chevaux donnent leur maximum. Ce qui lui permit de tout gagner.

Il disputa 98 courses, en remporta 61. Il n’y eut que 5 courses où il fut non placé. Au sommet de son palmarès : deux Prix d’Amérique (en 1981 et 1983), deux Elitloppet, trois championnats du monde. Ses gains : plus de 15 millions de francs ! Devenant le trotteur le plus riche de toute l’histoire des courses. Ce crack sera aussi étalon de France, auteur de très nombreux produits, dont Lady Dodivaa, qui remporta le Prix de France, que son géniteur n’avait jamais gagné ! Pour l’histoire, c’est en honorant une jument, le 27 février 1998 dans un haras hollandais, qu’il meurt foudroyé par une crise cardiaque. Il avait eu 22 ans le 14 février précédent.

Réincarnation d’Alexis III

C’est parce qu’il était le fils d’Alexis III que l’entraîneur normand Eugène Lefèvre l’a trouvé, rencontré dans les fins fonds du marais dit Breton, sur la commune de Sallertaine. Un poulain de quelques semaines qu’il remarqua immédiatement au milieu de quatre autres, chez les Fradin, dans la stabulation de la ferme du Gazeau. « Un poulain tout noir, avec cette lisse blanche en tête et puis un œil vif… » témoigna Lefèvre. Le portrait craché d’Alexis jusque dans les allures, Alexis III pour lequel il avait une obsession, un souvenir éblouissant.

Idéal du Gazeau et Eugène Lefèvre (photo tirée d’un documentaire de la chaîne Equidia)

Car le jeune Eugène, quand il était apprenti à Avranches, a connu et côtoyé ce champion qu’entraînait son patron André Ollivaud. Il a connu ce prodige du trot, qui fit un début de carrière démentiel avant, curieusement, de devenir l’ombre de lui-même. Oui, Eugène était imprégné par Alexis III.

Aussi, ce fils, il le veut, cet Idéal du Gazeau qui doit son nom à l’exploitation agricole qui, elle-même, le doit au cours d’eau le Gazeau qui traverse les terres… il le veut, qu’importe si sa mère, Venise du Gazeau, est une poulinière aux origines modestes.

Mais il fallut négocier avec les Fradin, Henri le père et Guy son fils, patrons de la ferme du Gazeau, au carrefour de la route Saint-Urbain/La-Barre-de-Monts et Beauvoir/Le Perrier. Il fallut d’autant plus négocier qu’ils n’étaient pas vendeurs.

Durant près de deux ans, Eugène Lefèvre prend en charge Idéal du Gazeau sur lequel il rêve tant, avec entraînements sur la plage face au Mont-Saint-Michel pour fortifier la musculature au contact de l’eau froide. A l’âge de deux ans et demi, le 26 août 1976, le petit cheval noir du pays maraîchin est au départ de sa première course, sur l’hippodrome de Saint-Malo. Coup de maître, il l’emporte facilement.

Eugène a vu juste. Idéal réincarne Alexis III qui l’avait tant impressionné apprenti, il va même dépasser les espoirs placés en lui. Aussi, dès le 16 décembre de la même année 1976, il l’emmène à Vincennes, le Temple du trot. Non seulement il va gagner sa course facilement mais il va émerveiller les turfistes et les observateurs, par l’impression visuelle qu’il a laissée : alors qu’il aborde largement en tête la dernière ligne droite, il résistera au galop d’un cheval disqualifié qui s’était débarrassé de son driver. Le trotteur qui ne se laisse pas dépasser par le galopeur !

Si attachant !

Dès lors, tout s’enchaîne, sa renommée se fait. Il cumule les victoires et il y a foule pour voir le petit phénomène au Critérium des 3 ans le 18 décembre 1977. Mais ce jour-là tous les concurrents calquent leur course sur Idéal du Gazeau qui supporte tout le poids de l’épreuve. Il termine exténué et battu, seulement troisième. Idéal du Gazeau n’était pas invincible. Ce qui le rendait d’autant plus attachant.

Les mêmes… (d’après une photo de la page Facebook « idéal du Gazeau »)

Mais en 1978, il fait feu de tout bois, remporte 9 des 11 courses à lesquelles il a prit le départ, remportant le Critérium des 4 ans et aussi l’International Golden Shoe, en Finlande, battant les meilleurs chevaux européens de sa génération.

Le 28 janvier 1979, devant trente mille personnes à Vincennes, drivé par Eugène Lefèvre, il termine deuxième du prestigieux Prix d’Amérique, battu de justesse par High Echelon, drivé par Jean-Paul Dubois. Idéal n’a que 5 ans.

L’année suivante, toujours au Prix d’Amérique, il est bel et bien battu, ne terminant que huitième, après avoir longtemps mené. Mais il brille à l’étranger, en Suède, en Allemagne.

Le prix pour la légende

C’est le 25 janvier 1981 que « Petit bonhomme » à la belle allure, avec son bonnet et ses bandages bleus, entre dans la légende en remportant le Prix d’Amérique sur la piste en mâchefer de Vincennes. Un prix pour lequel le public a suspendu son souffle devant une course… à couper le souffle entre lui et Jorky. Et il va enchaîner les victoires, jusqu’en Italie et aux États-Unis où il remporte l’International Trot, devant un autre cheval tricolore, son éternel rival Jorky.

Mais en 1982, Idéal du Gazeau s’incline dans le Prix d’Amérique. L’hiver rigoureux ne lui convient pas. Au printemps, il a retrouvé son jus, s’impose en Suède, au Danemark… Et à New-York, à nouveau dans l’International Trot, devant plusieurs dizaines de milliers de personnes, défaisant l’élite internationale du trot. Et c’est là que le petit cheval natif de Vendée rejoint Une de mai, congénère vendéenne, native de Bournezeau. Car à ce moment-là, dit la chronique, « jamais depuis la championne Une de Mai, un trotteur français n’a été aussi populaire outre-atlantique. »

Il parachève l’année 1982 avec des victoires à Göteborg et sur l’hippodrome de San Siro à Milan ; et il est sacré meilleur meilleur cheval d’Europe pour la troisième fois consécutive. Comme Une de Mai ! Encore un clin d’œil !

Aussi, oublié la déconvenue du Prix d’Amérique. Et prêt pour l’édition 1983. Et il y a du monde au balcon le dernier dimanche de janvier 1983 dans le temple du trot. Idéal a 9 ans, le poids des ans se fait sentir, il a été battu lors de ses dernières sorties. Mais sur la cendrée de Vincennes, le champion le redevient et l’emporte aisément. Mais… La sirène retentit. Il y a enquête. Idéal aurait esquissé quelques foulées de galop dans la dernière ligne droite. Tout l’hippodrome retient son souffle. Enfin la décision tombe, l’arrivée est maintenue, Idéal s’est remis au trot à temps. Il est deux fois vainqueur du Prix d’Amérique !

Durant cette année 1983, le petit cheval aux bandages bleus réussira aussi l’exploit de remporter l’International Trot, aux États-Unis devant vingt mille personnes médusées. Il est le premier cheval au monde à avoir réussi cet exploit de remporter cette épreuve trois fois consécutivement.

Meilleur père

Alors qu’il est attendu pour le Prix d’Amérique en janvier 1984, l’incroyable nouvelle tombe en décembre 1983 : le crack a été vendu en Suède ! Et le quotidien France-Soir de titrer : « France, ton idéal fout le camp ! »

Au haras d’Alebäck, ce sera la seconde carrière du cheval né dans les marais de Sallertaine. Il engendrera plus de 1.300 produits, auréolé d’un nouveau titre, celui de « meilleur père. » Il reviendra en France dix ans plus tard, en 1993. Il a 19 ans. Il stationne dans le Calvados, au haras de Retz, à Gonneville.

En août 1995, il est fêté à Saint-Jean-le-Thomas, où il démarra sa prestigieuse carrière après avoir quitté la Vendée, chez Eugène Lefèvre, son entraîneur, qui avait pris l’habitude de parler à l’oreille de son cheval, Idéal couchant ses oreilles comme s’il comprenait. Il comprenait…

Ultime pied de nez : en janvier 1997, le Prix d’Amérique est remporté par Lady Godiva, fille du Sallertainois. Il meurt l’année suivante.

Le vaste Haras du Gazeau existe toujours, au milieu du marais au Grand Mouton, il porte aujourd’hui le nom de Haras de Safarome (élevage et dressage de chevaux de sport tenu par les cavaliers pro Jérôme et Sandrine Proux).


© Philippe Gilbert – Les Nouvelles de Challans, 9 février 2023

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