L’exposition de vélos anciens de la Shenov est un succès, elle a déjà accueilli 400 visiteurs, et elle entraîne des effets inattendus. Des experts n’hésitent pas à faire des centaines de kilomètres pour venir référencer des modèles qu’ils ne connaissaient pas, et… ce mercredi 6 décembre, un tandem Alba datant d’avant 1920 « a rejoint la collection Pothain grâce à un don de ses héritiers, » annonce Erick Croizé, président de la société d’histoire et organisateur de l’exposition. Un tandem de course « qui a appartenu aux frères Le Brasseur, et que Marcel Pothain avait offert à l’un de ses petits-fils. » Les enfants de ce-dernier, après avoir découvert l’exposition, « nous ont contactés, désireux que le tandem retrouve la collection léguée à la ville de Challans en 1984. »
En détail : « Tandem de course sur vélodrome d’avant 1920. Sans freins. Cadre manchonné (aucune soudure), pédalier central surdimensionné – il fallait qu’un assistant pousse le vélo pour pouvoir démarrer, – chaînes spéciales, résistantes à la puissance des cyclistes : un tel engin pouvait dépasser les 80 km/h. »
Qui étaient les frères Le Brasseur ?
Vous connaissez sans doute l’espace « Le Brasseur moto center, » rue Paul-Émile Victor à La Roche-sur-Yon ? Un magasin qui a succédé en 2002 à celui « de vente et réparation de cycles et motos » situé au 7 de la place de La Vendée – ancienne place du Champ-de-Foire, – une entreprise fondée en 1929 par Henri Le Brasseur. Mais ce-dernier était originaire d’Aizenay, où un autre magasin, « les Cycles & autos Le Brasseur frères, » avait ouvert entre 1920 et 1924.
La famille Le Brasseur était bien connue dans cette commune. Arthur Le Brasseur, peintre en bâtiment, et Marie Marchais, avaient eu neuf enfants, quatre filles, et cinq garçons dont trois furent mécaniciens et… coureurs cyclistes : André (Jean), né en 1889 ; Arthur, né en 1893 ; et Henri Marius, né en 1904 – ou « Henry, » pour le distinguer d’un frère aîné, Henri Constant, né en 1896.
En tête des compétitions
Le nom Le Brasseur – écrit aussi en un seul mot : Lebrasseur – a souvent figuré dans les pages des sports des journaux de 1913 à 1928. Les prénoms n’étaient pas toujours mentionnés… sauf lorsque deux frères arrivaient en tête d’une même course ! Le 17 août 1913, par exemple, à « la fête du Poiroux » : « 1er, Arthur Lebrasseur ; 2e, André Lebrasseur… »
Mais en 1927… lequel des trois frères a remporté « le Grand Prix du cycliste de La Tribune aux Sables-d’Olonne » ?
On pouvait lire dans L’Etoile de la Vendée du 18 septembre 1927 : « Sur le parcours du circuit des Plages Vendéennes s’est disputé dimanche 11 septembre pour la première fois le grand prix de la Tribune. Cette épreuve destinée à devenir annuelle traversa notre belle Vendée partant et aboutissant aux Sables-d’Olonne par Saint-Gilles, Croix-de-Vie, Saint-Jean-de-Monts, Challans, Aizenay, La Roche-sur-Yon, Saint-Hermine, L’Aiguillon-sur-Mer, Talmont, sur un joli ruban de route d’une longueur de 219 kilomètres. Organisée par le Véloce-Club Sablais et les cycles Blanche Hermine, cette manifestation obtint un beau succès (…) » Quinze coureurs s’élancèrent place de la Liberté à 9 h 15, mais cette course, « fut rendue très dure en raison de la pluie durant la matinée et le vent violent toute la journée. » Tous roulèrent en peloton jusqu’à La Roche. Là, deux coureurs « se sauvent à toutes pédales comme s’ils avaient tous les diables du monde à leurs trousses et prennent bientôt une avance considérable sur leurs suivants immédiats (…) » L’un des deux ne tiendra pas. « Dès Luçon, les coureurs ont à lutter contre un fort vent debout qui ne les quitta pas jusqu’à l’arrivée. » Les abandons se succèdent. Et puis, à Longeville, à 28 kilomètres de l’arrivée… un rebondissement ! Trois coureurs rattrapent Pfister, qui s’est échappé à La Roche, dont « Lebrasseur. »
Un retour fantastique à la surprise générale
Et là, « bien que victime d’une crevaison en plus de son retard, Lebrasseur effectue un retour fantastique et, à la surprise générale, se présente au vélodrome des Sables en compagnie de Pfister et Demarbre. Sur les deux ultimes tours de piste, il s’assure la victoire à l’emballage… » ! Résultats : « 1. Le Brasseur (Aizenay), en 8 h. 59 (moyenne 24 kil. 450) ; 2. Demarbre (Fontenay-le Comte) (même temps) ; 3. Pfister (Les Sables-d’Olonne) (même temps)… »
La relève assurée en tous points
Le 9 avril 1928, cette fois, le prénom est donné, c’est Henri Le Brasseur qui remporte le Circuit du Bocage Vendéen. L’année d’après, donc, il ouvrira son « garage, cycles & motos » à La Roche-sur-Yon.
Son fils Claude le rejoindra en 1958 et prendra sa suite. Mais plus tôt, Claude avait aussi rejoint la passion de son père. Le 30 mars 1948, à dix-huit ans, il fait la une des sports de L’Avenir de l’Ouest : il a remporté le « Premier Pas Dunlop, » organisé cette année-là par le Véloce Club Moutierrois (Moutiers-les-Mauxfaits).
Et la photo de l’article est touchante : « Mlle Lise Brochet, reine du V.C. Moutierrois, remet une gerbe au vainqueur, Le Brasseur, sous l’œil ravi du père de ce dernier, vainqueur lui-même du Premier Pas Dunlop, à Rennes, en 1921… »
Une troisième génération
Enfin, le site Le Brasseur moto center nous apprend qu’en 1992, « c’est au tour de Didier Le Brasseur, fils de Claude Le Brasseur de prendre la relève. » En 2002, il déplacera le magasin dans la zone commerciale située autour du rond-point de l’Europe. Didier Le Brasseur était de son côté un passionné de moto, et entre autres pilote de motocross – on le retrouvera sur de nombreux championnat de France. Il avait de qui tenir avec son père et son grand-père. Sur le site Le Guide Vert cette fois, un membre du Moto Club Yonnais rappelle que Henri et Claude Le Brasseur, avec Jean Morin, organisèrent des dizaines de motocross pour le MC Yonnais à partir de 1951… Didier Le Brasseur nous a quitté en mars de cette année, victime d’un accident de la route…
Sources : Erick Croizé et Thierry Chevrier ; archives de la Vendée ; LE BRASSEUR moto center ; geneanet.org ; enquête LNC.
Exposition de la Shenov : « Le vélo, une révolution pour les déplacements individuels et les loisirs » au premier étage de l’Espace Jan et Joël Martel (ancienne mairie de Challans) jusqu’au 6 janvier 2024 – ouvert le mardi, mercredi, vendredi de 14 h 30 à 17 h 30 ; le jeudi de 10 h à 12 h ; le samedi de 10 h à 12 h et de 14 h 30 à 17 h 30 – gratuit.
© Les Nouvelles de Challans, 10 décembre 2023 – Didier LE BORNEC