Rue de Saint-Jean-de-Monts, entre l’impasse du même nom et la rue de Bois Soleil – au niveau du garage Citroën, – on peut voir dans un pré une imposante tour de pierre en partie couverte de lierre. Ce ne sont ni les ruines d’un moulin ni celles d’un château-fort, mais les vestiges d’un four à chaux et d’une industrie qui fut florissante autrefois à Challans, détrônée ensuite par la production du ciment (1).
(1) La chaux éteinte, ou hydraulique, était largement utilisée par les maçons, lesquels bâtissaient « à chaux et à sable. » Elle pouvait également amender les sols, pour chauler les terres et rétablir un PH neutre. Ces usages disparaîtront brutalement avec l’arrivée du ciment et des engrais chimiques.
Cinq projets dans la même rue
Durant les années 1830-1840, des centaines de demandes de constructions de ces fours « à feu continu » affluèrent à la préfecture de la Vendée ; comme un peu partout en France, mais principalement dans l’Ouest. A Challans, où la municipalité jugea d’abord « que cette nouvelle branche d’industrie importée dans le pays ne pouvait qu’y apporter avantage et profit, » les archives départementales ont répertorié, entre 1841 et 1848, cinq projets de construction de ces ouvrages justement aussi volumineux et résistants que des donjons. Il fallait cela pour résister à la charge et à la chaleur : la chaux est obtenue par calcination de blocs de pierre calcaire à une température variant entre 600 et 1000 degrés.
Le Bois Soleil sous la cendre
Les demandes – qui furent approuvées – venaient de Jean-Pierre Pichaud, propriétaire à Nantes ; de Jean Aubert (ou Abert), « sur le terrain qui lui appartient au Fief de la Croix… » de Charles Robert de Chateigner (ou des Chateigner) ; Louis Pelloquin… Et tous ces industriels voulurent s’établir au même endroit, dans le quartier du Bois Soleil – mais il faut imaginer, en plus des fours, tous les bâtiments annexes qui les entouraient. Ce lieu, jusqu’en 1832, était perdu dans la campagne, mais il venait d’être désenclavé par l’ouverture de la route stratégique n° 7 – l’actuelle route de Saint-Jean-de-Monts (2). Ce nouvel axe, large pour l’époque, en ligne droite, facilitait l’exportation de la chaux – longtemps par charrettes, tombereaux tirés par des bœufs ou des chevaux. L’endroit était également bien situé par rapport à plusieurs carrières – au bois des Bourbes et à la Vérie, – mais aussi proche de la source du Landa et du ruisseau des Rallières.
(2) Cette route stratégique de Cholet à Saint-Jean-de-Monts fut l’une des voies militaires construites après 1832 et la tentative de soulèvement de la Duchesse de Berry.
Un projet incommode et insalubre…
Enfin, en 1848, un dernier projet, « des Srs Pichery et Emous, » échoua suite aux réclamations « de Mr. le Curé de Challans, et de Mademoiselle Cormier, professeure (écriture naturelle en 1848) au Bois du Breuil. » Le four devait se dresser à 450 mètres seulement de l’école maternelle, et depuis l’implantation des autres fours, on connaissait trop bien leurs rejets importants de cendres et de fumée. Aussi, la municipalité jugea que cette nouvelle construction « serait incommode et surtout insalubre pour la ville… »
Aujourd’hui, le seul témoin de cette activité titanesque à Challans est donc le four à chaux du Bois Soleil. Il était à l’origine, en 1848, tenu par « Louis Pelloquin, propriétaire à Challans, » et il appartint en dernier lieu à la famille Le Bret-Gautier, après son rachat vers 1891 à la veuve Félix Bonnefoy (3). Selon des témoins, le four à chaux a dû s’éteindre après la seconde Guerre mondiale. Dans les années 1950, l’entreprise n’apparaît plus dans le Bottin qu’à la rubrique « matériaux de construction et briques. » La famille Huet est aujourd’hui propriétaire du terrain.
(3) Il était indiqué sur les factures de l’entreprise : « Usine à vapeur, tuilerie mécanique – Fours à chaux – Chaux grasse et hydraulique. Tuyaux de drainage – Tuile mécanique. Ornements en terre. Tuiles ordinaires. Briques tubulaires et pleines. Carreaux en tous genres. ».
Un autre four à chaux est encore visible dans notre région, au Mollin, à La Garnache. Une délibération du conseil municipal du 27 mai 1841, note que « le sieur Joseph Boucher » avait souhaité être autorisé à construire trois fours à feu continu. Deux étaient destinés à la fabrication de briques, de poteries et de tuiles. Mais l’annuaire Didot-Bottin de 1884 n’annonce que l’activité du four à chaux. Joseph Boucher l’exploite au moins jusqu’en 1893. En 1897, le four passe à « Mlle Boucher. » Puis en 1900, Léon Martel rachète la propriété du Mollin et le four – qui apparaîtra dans l’annuaire jusqu’en 1917. Léon Martel avait épousé la fille de Joseph Boucher, Rachel. Léon et Rachel sont les parents des sculpteurs jumeaux Jan et Joël Martel.
Pour en savoir plus : lire « Quand Le four à chaux était un quartier de Challans dans les Cahiers du Noroît de juin 2021.
Sources : Shenov ; Erick Croizé ; Archives de la Vendée ; délibérations du conseil municipal de Challans et de La Garnache ; documents et recherches LNC.
© Les Nouvelles de Challans, 30 mai 2022 – Didier LE BORNEC