En 2022, dans le but de féminiser les rues challandaises, la municipalité a entre autres donné le nom de Louise Michel (1) à une voie nouvelle, vers la Poctière. Mais nous découvrons que Challans avait sa propre Louise Michel grâce à un article d’Auguste Barrau (1843-1944) datant de 1928, et que son frère ennemi, l’abbé Charles Grelier, a collé dans sa « Chronique paroissiale. » Le dimanche 21 octobre 1928, l’abbé écrit : « On me communique les articles suivants qui ont paru dernièrement dans Le Phare… » Suivent trois portraits écrits par Auguste Barrau pour sa rubrique « Types disparus » – type dans le sens ici de personnage remarquable, – trois portraits dont celui de « Virginie Montorcy, dite Torcy, dite Louise Michel… »
Et cet article est un vrai roman… « – Torcy ! Torcy ! Torcy ! criait une marmaille endiablée qui s’empressait de se disperser, dès qu’elle voyait se lever la canne de la personne ainsi interpellée : une vieille fille à qui il ne fallait pas trop échauffer les oreilles ! Elle était née à Nantes, le 28 décembre 1833, de Colombe Ledoux et de père inconnu et avait été adoptée par les époux Guyot-Montorcy. Le mari, maréchal-ferrant, né à Machecoul le 5e jour complémentaire de l’an III, veuf de Victorine Bazin, décédée le 14 septembre 1824, avait épousé en deuxièmes noces, le 16 novembre 1825, Marie-Virginie Gillet, rentière, née à Saint-Christophe-du-Ligneron, le 28 ventôse an XI.
« M. Antoine Guyot-Montorcy mourut le 31 janvier 1848, et sa veuve ne lui survécut que jusqu’au 5 janvier 1851, laissant à sa fille adoptive, Virginie Montorcy (Colombe, Ledoux à la Mairie et Ledou ou Loudou à la Justice de paix) une rente de 700 francs jusqu’à sa majorité et de 600 francs sa vie durant. Elle lui donnait, en outre, une somme de 100 francs, des vêtements, du linge et divers meubles et ustensiles de ménage.
« Un conseil de famille, composé de MM. Claude Cavoleau, orfèvre, tuteur ; Pierre Cormier, propriétaire, subrogé-tuteur ; Pierre Baudry, aubergiste ; Félix Bonnefoy, plâtrier ; Constant Sourrisseau, tisserand, et Charles Caffin; marchand, nommé le 14 janvier 1881, exprima le vœu que la mineure fut placée, pendant un an ou deux, dans une pension d’instruction, et donnait au tuteur tout pouvoir de traiter à ce sujet. Virginie entra donc aux Ursulines et en sortit, car elle était fort intelligente, avec une très bonne instruction primaire. Elle s’installa dans une petite maison en ville et mena, vu le bon marché de la vie à cette époque, une existence de modeste rentière, passant ses journées à lire où à écrire, sur un registre que j’ai eu entre les mains, les chansons parisiennes en vogue et aussi celles que lui adressait, sous le couvert de l’anonymat, un barbe Challandais qui châtiait, en vers libres, les travers de quelques-uns de ses concitoyens. » Ce « barbe » qui était plutôt un « barde, » devait être Auguste Barrau, également poète…
Musique, lecture… mais la politique avant tout
Le journaliste continue : « Torcy, brune quelconque, grassouillette, de taille moyenne, aux yeux rieurs et moqueurs, était douée d’humeur gaie qu’elle exprimait en chantant souvent, d’une voix agréable, bien que grasseyante. Elle aimait la musique autant que la lecture, mais moins, toutefois, que la politique. Oublieuse des principes religieux qui lui avaient été inculqués, elle ne fréquentait plus l’église et professait des idées sociales si avancées qu’elles lui avaient valu le surnom de « Louise Michel. »
« Les jours d’élections la mettaient en effervescence ; elle se mêlait à tous les groupes pour s’enquérir des résultats des votes et, lorsque les réactionnaires étaient battus, elle poussait d’énergiques cris de : Vive la République ! et prônait ses subversives théories. Si quelque auditeur protestait, il était aussitôt accablé de qualificatifs à l’emporte-pièce, de critiques de l’ancien régime et d’aperçus sur la Société future édifiée d’après l’idéal de la vieille fille. »
« Assez souvent, Virginie changea de logement. En dernier lieu, elle habitait rue Carnot, alors Grande-Rue, un immeuble en compagnie de deux Nantaises, célibataires comme elle, les demoiselles Lecomte. L’une, Alphonsine, très maigre, possédait une voix merveilleuse – on racontait qu’elle avait fait partie d’une troupe d’opéra – et mourut le 22 février 1898 ; l’autre, Zélie, très grasse, exerçait l’art de dentiste et fut enterrée en octobre 1906.
« Jointe aux années, la solitude, cette fois, désempara la pauvre Torcy qui, délaissant la copie des chansons à succès et la rédaction de son journal, fit des sorties plus fréquentes, bien que troublées par les gamins. »
« Vint la guerre, hélas ! et vint la vie plus chère ! Sa rente de 600 francs étant maintenant insuffisante, Virginie accepta de l’abandonner au profit de l’Hôpital, où elle fut convenablement installée et traitée et où elle mourut le 18 septembre 1917, à 10 heures du matin. Son décès fut déclaré à la Mairie par MM. Merceron Romain, infirmier, et Bossy Edmond, garde-champêtre. Dans les objets qu’elle laissait, et dont il fut dressé la liste, on ne trouva ni son recueil de chansons, ni le manuscrit de ses mémoires… »
Auguste Barrau
(1) Louise Michel (1830-1905) – en quelques mots, elle était la fille naturelle d’un châtelain (sa mère, Marianne Michel, était domestique) ; elle devint institutrice libre à Montmartre, l’amie de Victor Hugo ; anarchiste, elle participa à la Commune de Paris de 1871 ; elle fut déportée en Nouvelle-Calédonie où elle soutint les Canaques ; amnistiée en 1880 elle poursuivit ses luttes, survécut à un attentat, donna des conférences en Angleterre ou en Algérie… Elle mourut d’un « coup de froid » à l’âge de 75 ans. Inhumée à Levallois, une foule sans fin suivit son cortège funèbre « qui défila durant neuf heures sans interruption… »
Sources : archives de la Vendée ; archives de la Shenov ; Erick Croizé ; L’Anarchie de Domenico Tarizzo ; recherches et archives LNC.
© Les Nouvelles de Challans, 6 janvier 2025 – Didier LE BORNEC