1933 – 1942 – Le « feuilleton national » de Pierre Duranteau, Arsène Lupin garnachois

« Le cambrioleur de la côte de Saint-Brévin a été arrêté et a avoué de multiples méfaits, » annonçait le quotidien parisien Le Journal dans son édition du 23 avril 1933. Cette nouvelle de l’arrestation « qui vient d’être effectuée dans le bois du Rigolet, à Saint-Père-en-Retz, a provoqué dans la région un vif soulagement. »

Il vide la caisse de la mairie de La Garnache

Car l’homme « faisait régner la terreur sur toute la contrée, qui s’étend de Mindin, à l’embouchure de la Loire, jusqu’à La Bernerie. » Et il sévissait depuis près d’un an : « son premier cambriolage date, en effet, du 13 mai 1932, à la pharmacie Turpin, à Saint-Brévin, le dernier est d’avant-hier, à la mairie de la Garnache, où il a fracturé la caisse [ou un coffre-fort] et pris 1.900 francs… » Il aurait également « visité » des fermes et la gare de la commune.

Un Garnachois de 31 ans, ouvrier agricole

Le cambriolage de La Garnache était peut-être un retour aux sources : conduit à la gendarmerie de Paimbœuf, le voleur « a déclaré se nommer Pierre Duranteau, avoir 31 ans, exercer la profession d’ouvrier agricole, et être né à La Garnache… » Le journaliste, correspondant de Saint-Nazaire, ajoute : « Dès ce matin, le lieutenant de gendarmerie Mercier, de Paimbœuf, qui a dirigé les recherches, avait confirmation de cet état civil en téléphonant à La Garnache. »

Dans les registres des archives de la Vendée figure effectivement un Duranteau Pierre Auguste Joseph, né à La Garnache – Guinefolle – le 27 juin 1902 « à cinq heures du soir. » Ses parents, Auguste et Marie-Madeleine, étaient cultivateurs…

Le lieutenant Mercier « fit ensuite conduire en auto le cambrioleur sur le théâtre de ses exploits : Saint-Brévin, Saint-Michel, La Plaine, Pornic et La Bernerie. Nous avons pu suivre le malfaiteur dans chacune de ces étapes. Sans être un colosse, Duranteau, qui a le teint basané, les yeux très noirs, la face carrée et de larges épaules, donne l’impression d’un homme vigoureux. »

On pouvait lire à la même époque, dans Le Quotidien, que « parmi les fruits des larcins de Duranteau, » on trouvait aussi « grande quantité de produits pharmaceutiques, » car il tient « à soigner de façon toute particulière sa santé chancelante. » La description donnée plus haut, et la suite de ses aventures, prouvent plutôt le contraire…

Pierre Duranteau lors de son arrestation en 1933 (d’après une photo du Phare de la Loire)

Pierre Duranteau était « peu loquace. Dans le court interrogatoire qu’il avait subi la nuit à Paimbœuf, il s’était borné à décliner son état civil et à avouer le cambriolage de la mairie de La Garnache. » Mais sur le terrain, « il s’est laissé aller à quelques confidences. C’est en mai 1932 qu’il arrivait à Saint-Brévin. Sans moyen d’existence, il commit aussitôt son premier cambriolage, » et il mit son butin à l’abri dans une cachette aménagée non loin de là. Néanmoins, « pressé par le besoin, Duranteau continuait à voler, et il avoue qu’en moins de 12 mois il a dévalisé au bas mot 50 chalets. Interrogé également sur les raisons qui le faisaient se terrer depuis des mois, Duranteau s’est refusé à répondre, se bornant à avouer qu’il a un lourd passé judiciaire et qu’il a été successivement condamné pour des cambriolages commis à Versailles, Blois, Caen et Nantes. Dit-il la vérité ? » Certainement.

En poursuivant des recherches en amont dans la presse ancienne, on apprend que le 3 janvier 1930, le Petit Parisien parlait déjà d’un « nommé Pierre Duranteau, vingt-huit ans, sans domicile ni profession, déjà recherché (pour vol) par le parquet de Blois, » et qui fut écroué à la prison de Versailles. Il avait commis de nombreux cambriolages à Sannois, alors en Seine & Oise, près d’Argenteuil et de la forêt de Saint-Germain-en-Laye. C’était après avoir dévalisé… une pharmacie… qu’il s’était fait prendre.

Les détails de l’arrestation dans le bois du Rigolet

« On savait que Duranteau était toujours armé d’un fusil et l’on craignait qu’il ne s’en servit s’il se sentait traqué. Fort heureusement, son arrestation ne dégénéra pas en drame. Vendredi soir, un habitant du bois Rigolet, à Saint-Michel, voyait un homme pénétrer mystérieusement dans un fourré. Il prévenait aussitôt les gendarmes. Quatre d’entre eux cernaient le bois avec 15 hommes de bonne volonté. Au coin d’un épais taillis, le gendarme Belliard aperçut une musette et un sac. En même temps, il entendait un bruit de feuilles froissées et une fuite précipitée. C’était Duranteau (…) mais il n’échappa à Belliard que pour tomber entre les mains des collègues de ce dernier. Je me savais traqué dans la région de Saint-Brévin, a-t-il confié ce matin au lieutenant de gendarmerie. Voila pourquoi, après avoir cambriolé la mairie de La Garnache, je suis revenu ici pour y prendre mes vêtements et les transporter au Clion et à Pornic, dans deux autres cachettes préparées par moi. » Là, « on a retrouvé le produit de nombreux vols. » Dans l’après-midi, « sous bonne escorte, » Pierre Duranteau a été « déféré au Parquet de Nantes (…) où se fera l’instruction… »

Un Arsène Lupin ou un « faible d’esprit » ?

Toute la presse, notamment parisienne, parla de cette affaire. Dans Le Matin, édition du 23 avril également : « Le Mystérieux cambrioleur de la Côte de Jade est arrêté – C’est un repris de justice au lourd casier judiciaire, » l’information vient de Saint-Nazaire, mais l’histoire varie un peu. Le même jour, dans La Volonté, cette brève : « Le cambrioleur-fantôme de Saint-Brévin est arrêté. » En première page du Populaire, « Organe du Parti Socialiste – S.F.I.O. » on se réjouit aussi : « L’insaisissable cambrioleur de Saint-Brévin est enfin arrêté. » « Depuis un an, il vivait dans les bois de la région. » Et le journal donne des détails sur « l’ingéniosité » du Garnachois Duranteau : « depuis mai 1932 il vivait dans les bois du produit de ses méfaits, » et « s’il avait pu si longtemps échapper aux recherches, c’est grâce aux vêtements qu’il volait et qui lui permettait de changer fréquemment de costume. Il a affirmé être passé à plusieurs reprises tout près des gendarmes qui le recherchaient… »

Et pourtant… Pierre Duranteau sera « jugé faible d’esprit et interné dans un asile à Nantes, » à l’Hôtel-Dieu apparemment.

Rebondissement en 1934 : Duranteau s’est évadé !

Mais un an plus tard, le 30 juin 1934, L’Ami du peuple titre : « Evadé de l’asile de Nantes [le 16 mai], Pierre Duranteau, cambrioleur impénitent, s’est de nouveau réfugié dans les bois. » Il a été aperçu à Dompierre et « toutes les brigades de gendarmerie de Vendée sont de nouveau à sa recherche. »

« L’outlaw de Saint-Brévin » cambriole la préfecture !

Ce même jour L’Intransigeant annonce la nouvelle à l’américaine : « L’Outlaw de Saint-Brévin L’homme des bois s’est installé à nouveau dans le bocage vendéen. » Par téléphone, le correspondant particulier du journal a raconté toute l’histoire : « On n’a pas perdu le souvenir de Pierre Duranteau, cet homme des bois, cambrioleur, qui, pendant des mois, tint en haleine, dans la région de Saint-Brévin, gendarmerie et police mobile (…) Duranteau, qui avait été jugé faible d’esprit, avait été interné dans un asile à Nantes. Or, il y a quelques jours, il s’en évadait. On constata aussitôt en Vendée, que de nombreuses fermes étaient visitées. La préfecture même de La Roche-sur-Yon, recevait nuitamment une visite indésirable, » le voleur cherchait vraisemblablement à se procurer des pièces d’identité.

« On recherchait vainement l’auteur de ces cambriolages quand, hier matin, un jeune berger, Albert Nauleau, qui se trouvait dans le bois des Gats, dans la commune de Dompierre, voyait soudain un individu qui s’enfuyait d’un taillis fort épais. » Ayant prévenu son père, il découvrit avec lui « une tente de campement accrochée à deux châtaigniers. Sous la tente désertée se trouvaient une bicyclette de dame, tout un attirail de cambrioleur, des fausses clés, des passe-partout, des pinces et de nombreux vêtements, » – pour se déguiser. On ramassa également « plusieurs livrets militaires, dont deux au nom de Daviaud, de la Garnache, et Boulon, de La Ferrière. » Le premier livret « avait été volé jadis par Duranteau, quand ce dernier avait cambriolé la mairie. » Il avait dû récupérer le document dans une de ses cachettes : c’était bien un Arsène Lupin !

[Outlaw : hors-la-loi]

Duranteau en cavale jusqu’en 1935

Et Pierre Duranteau échappera à « toutes les brigades de gendarmerie de Vendée… » Il ne sera découvert et arrêté qu’en mars 1935… à Caen. L’Echo du Centre du 21 mars explique encore qu’il « fut trouvé porteur de trois livrets militaires, d’un attirail complet de cambrioleur, et de 3.000 francs. » Pour ce journal, Duranteau s’était bien évadé de l’Hôtel-Dieu de Nantes, mais « où il avait été hospitalisé alors qu’il était détenu à la prison départementale. » Depuis cette évasion, il s’est livré à de nombreux cambriolages : Châteaurenard (Loiret), Saint-Amand (Cher), Vendôme, Montoire-sur-le-Loir et Savigny (Loir-et-Cher), à Tresson (Sarthe), ou encore à Mortrée, dans l’Orne, « où il avait cambriolé, dans la nuit au 1er au 2 mars, l’étude d’un notaire, fracturant un coffre-fort, et faisant main basse sur une somme de 20.000 francs » ! Mais était-il vraiment coupable de tous ces vols… ?

Mortrée (Orne), la gendarmerie (d’après un document Geneanet)
Evadé… « maintes fois »

Etrangement, Pierre Duranteau sévit à droite et à gauche, on parle d’un « malfaiteur dangereux, » d’un « cambrioleur redoutable, » « dangereux repris de justice, » au « lourd passé judiciaire… » qui fait « régner la terreur sur toute la contrée… » On le dit « doué d’un flair extraordinaire, » habile, rusé… Il se déguise, connaît sur le bout des doigts le « métier » de monte-en-l’air… A cause de lui, la « police est sur les dents, » il « tient en haleine » et fait courir les gendarmes… qui finissent par l’arrêter… Et à chaque fois, « on lui fait subir un examen mental, » il est reconnu « irresponsable » et interné dans un « asile d’aliénés… » sans grande surveillance. Ce sera à Blois cette fois selon Le Phare… Où il restera combien de temps ?!

Arrêté en 1935… il l’est de nouveau en 1938… en 1940…

On a des nouvelles de Pierre Duranteau trois ans après dans Le Petit courrier d’Angers du 10 septembre 1938 : « Un cambrioleur évadé de divers asiles est arrêté. » Cette information provient de La Roche-sur-Yon, mais c’est à L’Herbergement qu’il a été repris. « Pierre Duranteau, âgé de 36 ans, originaire de La Garnache (Vendée) s’était évadé maintes fois de divers asiles d’aliénés. » Depuis trois mois, il vivait de nouveau… dans les bois… d’où « il sortait la nuit pour commettre des cambriolages, » cinq ou six dans la région depuis son évasion.

Mais deux ans plus tard, on apprend… une nouvelle arrestation à Pouzauges, dans La Parole républicaine des 31 octobre et 16 novembre 1940 : « La gendarmerie de Thouars, sur demande de la brigade de Pouzauges, vient d’arrêter le nommé Duranteau qui avait cambriolé la mairie de Montournais et dérobé une somme de 56 fr. 50 (…) » Cependant il avait sur lui 3.397 francs, et il a reconnu « être l’auteur de plus plusieurs autres vols, » à Pouzauges, Saint-Mesmin et La Pommeray-sur-Sèvre.

Un vol de 10.000 francs « dans une voiture de réfugiés »

Et si Pierre Duranteau ne semble finalement pas très méchant ; s’il n’a « commis aucun acte de violence, » malgré une « force au-dessus de la moyenne… » s’il vole « du pain, du beurre, victuailles de toutes sortes, » et à l’occasion « certains objets ou de l’argent, » voire des bicyclettes… cet Homme des bois n’est pas non plus… Robin des bois. Lors de cette arrestation à Pouzauges, en fin d’année 1940, alors que la Vendée est occupée par les Allemands, Duranteau avoue à un juge d’instruction « avoir dérobé une somme de 10.000 francs dans une voiture de réfugiés… »

Une « fin de carrière » en 1942 ?

Pierre Duranteau s’est donc évadé au minimum cinq fois… après avoir été arrêté en 1930, 1933, 1935, 1938, 1940… et la liste n’est sans doute pas complète. Enfin, une dernière mention de ses exploits – pour l’instant – date du 28 février 1942. Mais seulement trois lignes dans les « faits divers » du journal Aujourd’hui : « Niort – Evadé deux fois, un dangereux repris de justice, Duranteau, cerné dans un bois par la police, est capturé… » A-t-il été de nouveau placé dans un asile ? Qu’a-t-il fait ensuite ? C’est un mystère pour l’instant. En tout cas, si le Garnachois Pierre Auguste Joseph Duranteau est bien notre homme, et c’est vraisemblable, son acte de naissance porte en marge la mention : « Décédé à Orléans (Loiret) le 16 septembre 1974, » il avait 72 ans…


Sources : RetroNews BnF Gallica (LNC) ; archives de Loire-Atlantique ; archives de la Vendée ; informations, recherches © LNC.

© Les Nouvelles de Challans, 14 juillet 2023 – Didier LE BORNEC

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