Le 23 juin 1929, dans le grand magazine féminin parisien La Femme de France, paraît un très bel article signé Gabriel Viaud-Bruant (1), consacré à la sauvegarde des moulins à vent. L’auteur y parle de la Vendée, et particulièrement de Saint-Jean-de-Monts. Un texte « d’une grande modernité » dirait-on de nos jours… et instructif…
(1) Gabriel Viaud (Bruant) (1865 – 1948) – horticulteur, auteur, collectionneur…
« Le fisc a contribué à la destruction des moulins »
Viaud-Bruant a intitulé son article Poème des Moulins à vent, et il commence ainsi : « Puisqu’on ne bâtit plus de moulins à vent, sauvons au moins de la destruction ces témoins de notre passé. Ils font partie de notre patrimoine national, ils ont joué un rôle important dans l’histoire et dans la vie sociale de notre pays. » C’est urgent, et l’on apprend, entre autres choses, que « le fisc contribue à la démolition des moulins abandonnés en exigeant l’enlèvement des ailes pour l’exonération de l’impôt… »
Saint-Jean-de-Monts, « loin du bruit des autos… »
Et « comme il est impossible de faire classer ces vieux moulins comme monuments historiques, il n’y a qu’un moyen de les sauver : c’est de les acheter et de les aménager en habitation de plaisance. C’est ce que j’ai fait en Vendée où j’ai acquis quatre moulins à vent délabrés, admirablement situés en pleine forêt de Saint-Jean-de-Monts, près de la mer. » Venu de Poitiers, Viaud-Bruant a été séduit par notre région, « un merveilleux pays plein de charme, » où l’on échappe alors à des soucis déjà présents en 1929, en étant « loin du bruit des autos et de la poussière des routes… »
Le Moulin de la Belle-Etoile
Les moulins rachetés « étaient condamnés ; déjà un entrepreneur de démolition avait fait de larges brèches dans les vieux murs épais et jeté à bas les splendides meules si curieusement constituées en granit et marbre. De ces meules d’ailleurs on a fait de superbes tables rustiques et solides pour dîner dehors. La toiture de l’un de ces moulins était déjà par terre. Alors, de ce dernier on a fait une tour d’observation en couronnant la tête des murs d’un tablier de ciment armé : c’est la « Tour Montociel ». Du moulin le mieux placé et le mieux conservé : le moulin de la « Belle-Etoile », on a fait une habitation confortable en conservant pieusement les agrès, roues dentées, mécanismes, ailes, escalier rustique. »
La maison du moulin n’est « pas d’époque »
Grâce à cet article, on découvre aussi que la maison du moulin de la Belle-Etoile… date seulement de ces années 1920 – ce qu’on peut constater en observant de près les photos. Gabriel Viaud-Bruant continue : « Sur un des côtés on a fait construire une maison du pays maraîchin, basse, sans étage, ne nuisant pas à l’harmonie et aux proportions élégantes de ce moulin du XVIIIe siècle. Les pièces rondes de la tour sont des chambres parfaites avec des meubles épousant la courbe des murs et par les fenêtres les vues sur la forêt et sur la mer sont incomparables. Quant aux meubles, tout est rustique, style du pays, avec tous les vieux objets vendéens, poteries anciennes, lits maraîchins, cheminées des bourines (sic), dinanderie des siècles passés. Entre les moulins et l’océan existe un ensemble de dunes vallonnées, paysage désertique à grand caractère, d’un inexprimable charme. »
Sur certaines cartes postales anciennes, la légende indique : « St-Jean-de-Monts – Le Moulin de l’Orouet » car maison et moulin se trouvent en forêt, entre le Chemin de la Belle Etoile et le Chemin des Chapelles… du côté d’Orouet…
Louis XIII « a couché au pied de ces moulins… » où habitent les fées
L’auteur prend ensuite des libertés en écrivant : « Au pied de ces moulins, Louis XIII coucha jadis en allant à Saint-Hilaire-de-Riez et La Rochelle. » Mais il est exact que « tous les moulins à vent jouèrent un rôle important pendant les guerres de Vendée comme ceux de Valmy, de Cassel, des Flandres, de la Somme, de Notre-Dame-de-Lorette, » – la position des ailes, par exemple, permettait d’envoyer différents signaux…
Et la poésie arrive : « Les moulins à vent ce sont les yeux et les fenêtres des paysages, les phares et les poteaux indicateurs qui marquent les routes à suivre. Ce sont des observatoires et des bancs aux beaux endroits qui disent comme Anyté de Tégée (2) : « Qui que tu sois, viens t’asseoir à l’ombre de ce moulin afin d’y célébrer les dieux immortels. Dans les vieux moulins habitent les fées. »
(2) Anyté de Tégée, poétesse Grecque du 3e siècle avant J.-C.
Des « citadins ultra-civilisés qui ne sont que des valises vides… »
Mais avant la véritable envolée lyrique, viennent une critique du citadin et l’éloge du meunier : « J’ai connu des paysans meuniers pleins de bon sens et de raison, très supérieurs à certains citadins ultra-civilisés, qui ne sont que des « valises vides » à côté de ces rustiques pleins de pénétration et d’observation juste… »
« Au moulin on puise des leçons de calme et de philosophie. Je ne reproche jamais à une pensée d’être un songe et d’avoir des ailes comme mon moulin. Dans celui-ci, je passe des étés exquis, l’existence s’écoule douce et fervente ; la vie s’ouvre toute grande comme une porte magnifique sur le désert de dunes et l’océan. Les jours sont limpides, pleins de reflets irisés et charmants, parmi les belles choses dont l’âme secrète est la beauté. Au plein cœur de l’été, il « aoûte », comme on dit ici. J’ignore si le verbe aoûter est bien correct dans ce sens rustique et complet ; mais il « aoûte » cela veut dire que l’été bat son plein, que c’est le beau moment jour et nuit de la saison épanouie et chaude ; que la terre éclate de sève et de joie ; que la grappe se renfle et mûrit et que la lumière ruisselle, pendant la journée, du ciel enflammé. Le soleil accable notre moulin de sa lumière droite et terrible : le sable est éblouissant et la mer miroite. Nous faisons la sieste, une sorte de sieste qui est une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, goûte les voluptés de l’anéantissement. Mais quelles douces soirées ! et quand le soleil se couche dans la mer et plonge les clochers lointains en des océans mauves, le pays austère se revêt de solennité magique : la terre et le ciel s’accordent miraculeusement. Voilà pourquoi il faut sauver les moulins… »
Epilogue : Dans le Courrier vendéen du 29 juin 2006, page Saint-Jean-de-Monts, on trouvait ce titre : « Le moulin de la Belle-Etoile foudroyé. » Le 24 juin, en matinée, la foudre tombait en fait sur la maison du moulin, et provoquait un incendie dans lequel « le mobilier et divers objets historiques ont subi des dégâts importants… » Le journal précisait aussi que la maison – qui a été restaurée depuis – date de 1926 et le moulin de 1789…
Sources : La Femme de France du 23 juin 1929 n° 737 (RetroNews Gallica Bnf – LNC) ; geneanet.org ; Le Courrier vendéen (archives) ; recherches et documents LNC.
© Les Nouvelles de Challans, 12 mai 2024 – Didier LE BORNEC