1910 – Le satyre Jules Grand arrêté à La Garnache et emprisonné à Challans

Le dimanche 16 janvier 1910, à la une du quotidien national Le Petit Parisien, ancêtre du Parisien libéré, puis du Parisien, ce gros titre : « ENFIN !… Le satyre de Pontchâteau est arrêté. »

En photo d’illustration : une carte postale de la gendarmerie de Challans quand elle se trouvait au bord de l’actuelle place de l’Europe.

Et l’article commence ainsi : « Nantes, 15 janvier. On a enfin arrêté celui que l’on s’est plu à appeler l’insaisissable Enrici, quoique ce dernier nom ne soit pas le sien. Le satyre de Pontchâteau [44], car c’est bien lui, a été arrêté dans une auberge de la Garnache, village du département de la Vendée, situé près de Challans. Les gendarmeries de Lège-Palleran [Legé-Falleron] et de Challans furent mises, hier, sur la piste d’un individu suspect. Aussi, ce matin, les gendarmes parcoururent les bois de Froidfont [sic], où ils croyaient que le satyre s’était réfugié. » [Entre crochets, notes et corrections]

Grâce à la sagacité de la débitante…

Mais les gendarmes ne possédant pas « le signalement exact du faux Enrici, plusieurs fois ils le rencontrèrent, l’examinèrent en passant et ne l’arrêtèrent pas, cherchant toujours dans la forêt. » Ce fut le bandit lui-même qui provoqua sa perte, « craignant, à la fin, d’être découvert, (il) se dirigea vers la Garnache et se réfugia dans une auberge tenue par Mme Ravelean [Raveleau]. Et c’est grâce à la sagacité de la débitante que le bandit put être arrêté. Prise en effet de soupçons en présence de cet individu fatigué, harassé, l’air inquiet, dont les vêtements étaient souillés de boue par sa longue course à travers la campagne – et sachant que le satyre de Pontchâteau errait dans la région – elle s’en fut prévenir des voisins. Quelques-uns vinrent s’attabler dans l’auberge pour tenir en respect l’individu. Ils lièrent même conversation avec lui, pour ne pas le mettre en éveil. Pendant ce temps, d’autres habitants de la commune allèrent prévenir les gendarmes et le garde champêtre. »

Des faux noms en cascade

« Les gendarmes ne tardèrent pas à arriver. Le brigadier de Challans demanda ses papiers à l’individu, qui déclara ne pas en avoir. On lui passa alors les menottes et on l’amena à la chambre de sûreté de la gendarmerie de Challans. » La brigade mobile de Nantes fut prévenue, le commissaire divisionnaire des Sables-d’Olonne également. Pas de doute, « C’était bien le satyre qui venait d’être arrêté. » Mais l’homme cacha son vrai – ou faux – nom. Il n’était pas Enrici, mais un certain Duboc, puis Merzan-Giacometti, ou Marzan. « Enfin, pressé de questions, il avoua que son vrai nom était Joseph Meiffret… » Et quand on l’interrogea sur ses crimes, il nia, puis « se mit à pleurer et avoua le vol et les violences commises chez Mlle Fremeau, institutrice à Savenay. Il reconnut les cambriolages des chalets de la côte, au nord de la Loire, et des châteaux de l’Erdre (…) » Et bien d’autres délits encore… Mais concernant « le viol, suivi d’assassinat de la petite Clémenrine Foucher, [bergère] au Pouliguen, Meiffret protesta énergiquement. – Je ne suis pas l’homme que vous croyez, dit-il, jamais je n’ai commis une chose pareille. »

Aux Sables d’Olonne

« Après une période d’abattement, le bandit a repris un calme apparent. Il a été photographié et mensuré par les agents de la police mobile. » Lors de son arrestation, « il était vêtu d’un veston de cuir, chapeau mou noir, pantalon à carreaux, et chaussé de bottines jaunes. Il porte des moustaches noires en brosse. » Le parquet des Sables-d’Olonne, « sur le ressort duquel Meiffret a été arrêté, a réclamé le prisonnier, qui a été embarqué dans le train de 1 h 13. » Aux Sables, « il a fallu le conduire à la maison d’arrêt en voiture, afin de le soustraire à la foule qui voulait le lyncher… » Car avant cela, « sur tout le parcours de la gare au palais de justice, des cris de mort ont été proféré. Sur la place du palais de justice, plus de 2.000 personnes étaient massées pour voir le prisonnier, enchaîné et tenu par deux gendarmes. Il fallut faire évacuer afin de le protéger. Au moment où le satyre gravit les marches du palais, il reçut un violent coup de parapluie sur la tête…. »

Jules Clément Grand, chasseur alpin

Le vrai nom de celui qu’on appela aussi le satyre de Pouliguen fut connu quelques jours après : « Jules Clément Grand, satyre, assassin et bandit, né le 9 juin 1885, » lequel commit son premier crime « en juin 1908 alors qu’il sert dans le 3e bataillon de Chasseurs Alpins, » peut-on lire dans Le XXe siècle à La Garnache.

« En garnison à Grasse, il vole la cantinière, puis surpris par un compagnon, il tire sur lui et le tue. Arrêté, il simule la folie. Placé en observation, il s’évade. Le 29 janvier 1909 il est condamné à mort par contumace… » Voilà comment Grand commença sa carrière... Elle se terminera sous la guillotine, à Nantes, le 25 mars 1911… Son procès est raconté dans le Petit Parisien, à partir du 13 décembre 1910…

Dans son testament, Jules Grand demandera entre autres  « … l’autopsie de son corps et de son cerveau pour peut-être y découvrir le phénomène qui a été la seule cause de ses crimes… »

« Grand en chasseur alpin et le même devant la cour d’assises » (d’après le Petit Parisien – BNF)
Le Petit Parisien, ancêtre du Parisien libéré et du Parisien

Le Petit Parisien fut fondé en 1876 par Louis Andrieux, député radical, procureur de la République… et père caché de Louis Aragon. Ce quotidien, de tendance anticléricale et radicale de gauche, deviendra plus « modéré » après son rachat en 1884 par Jean Dupuy. Il atteindra une diffusion d’un million d’exemplaires au niveau national dès 1900, puis de plus de deux millions vers 1918. Il pourra alors revendiquer « Le plus fort Tirage des Journaux du Monde entier. » Devenu un journal de droite entre les deux guerres mondiales, puis un organe de propagande de l’occupant allemand en 1944, il sera interdit à la libération et remplacé par le Parisien libéré, devenu… Le Parisien en 1986.

Sources : Le Petit Parisien du 16 janvier et des 13 et 14 décembre 1910 (BNF-Gallica) ; Le XXe siècle à La Garnache ; recherches LNC.


© Les Nouvelles de Challans, 27 novembre 2022 – Didier LE BORNEC

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