Mars 1930 – La Vendée et Challans dans un supplément du magazine parisien L’Illustration

Lors du conseil municipal de Challans du 22 septembre 1929, Maurice Ballineau, maire, « donne lecture à l’assemblée d’une lettre de M. le Directeur de l’Illustration dans laquelle il demande en vue de l’édition d’un numéro spécial à la Vendée, une subvention de la part de la commune. » Après délibération, le conseil « vote une subvention de mille francs qui sera prise sur les fonds libres. » En marge du compte-rendu de cette séance, il est précisé « Subvention à l’Illustration Economique, » soit l’Illustration économique et financière, un supplément du célèbre magazine parisien l’Illustration.

Ce numéro spécial, qui sortira le 22 mars 1930, consacre plus de 100 pages à la Vendée, et l’on y trouve entre autres la description de différentes villes… dont Challans. Ce chapitre a été confié au Challandais Auguste Barrau, journaliste, également auteur, poète, musicien… 

Auguste Barrau (Challans 1843-1944), « farouche républicain, » on dirait aujourd’hui un homme de gauche, progressiste, était le Peppone local ; tandis que dans le rôle de Don Camillo on avait l’abbé Grelier, de droite cléricale et royaliste. Ils ont souvent ferraillé ensemble, à coups de plume, dans les journaux de leur bord respectif… mais on peut penser que les deux hommes s’estimaient.

Auguste Barrau

Challans vivait alors plus ou moins une période d’alternance, et après le royaliste Gildas Grelier (père de l’abbé), le maire Maurice Ballineau était, comme Barrau, un républicain. A l’origine, L’Illustration semblait également être de ce camp, contre la monarchie et tourné vers la bourgeoise de gauche ; mais en 1930, le magazine avait déjà glissé vers la bourgeoise de droite. En tout cas, Auguste Barrau pourra rendre un hommage très appuyé au travail de Maurice Ballineau, et à celui de Lucien Dodin et Benjamin Riou, deux autres maires républicains challandais…

Maurice Ballineau, gendarme retraité et ancien chef de corps des pompiers de Challans (maire de 1919 à 1935)

Avec du réalisme et de la poésie, des raccourcis aussi sur la fin – mais il s’agit peut-être du résultat de coupures faites par la rédaction : toute l’histoire de Challans devait tenir en deux pages… – le résultat est une peinture très intéressante de Challans, avec des détails inédits pour le lecteur d’aujourd’hui…


L’Illustration économique et financière
Supplément à L’Illustration du 22 mars 1930 – p. 74 et 75

CHALLANS

Par M. BARRAU, Publiciste (journaliste, ndlr)

« Le voyageur qui, descendant à la gare, pénètre à Challans par l’avenue Biochaud est quelque peu désappointé et augure mal de la petite ville dont il a entendu vanter la coquetterie. Au lieu des belles constructions qu’il s’apprêtait à admirer de chaque côté d’une voie relativement jeune, il ne rencontre que chantiers, garages et dépôts de matériaux, mais son impression sera certainement différente lorsqu’il repassera, dans quelques années, alors que les acquéreurs des terrains en bordures de cette avenue auront rempli les engagements de bâtir pris avec leurs vendeurs : les établissements hospitaliers représentés par leurs commissions administratives. »


« Que si, un autre jour, ce même voyageur arrive par la route de Cholet, lorsqu’il se trouvera à mi-côte des Ecobus, Challans lui offrira un aspect panoramique des plus variés. L’industrie locale lui sera révélée par la vue et les ronflements de quelques usines, cependant que, enfoui dans la verdure, émerge l’hôpital Biochaud et que le vieux clocher et l’église inachevée se silhouettent à côté du large crâne du Bois du Breuil, qui secoue son épaisse chevelure à l’endroit où s’arrête le Bocage et où le Marais commence. Aux heures lumineuses des beaux soirs d’automne, par cette route sur laquelle, autrefois, s’élevait le château des Dablières – démoli au passage de Louis XIII, réédifié, puis incendié pendant la Révolution – l’entrée de Challans surprend agréablement et peut fournir au peintre impressionniste d’intéressants sujets d’étude et au rêveur de doux instants de béatitude et de méditation. »

Le Bois du Breuil de nos jours,  « aux heures lumineuses » d’un été…

« L’histoire de Challans ne remonte guère dans le passé. L’église construite au XIe siècle, remplaça-t-elle un oratoire chrétien qui, dit-on, existait dès le VIe siècle, et cette église fut-elle fondée, ainsi que le raconte la légende, par la dame du château de la Gaudinière, laquelle était affligée d’un mari impie et cruel ? »
« Réparée de 1843 à 1846, dotée d’un beffroi carré de 1862 à 1865, elle fut jetée bas en 1899, et il est regrettable que son chœur et son transept n’aient pas été conservés. »
« C’est autour d’elle que clapotent les calmes flots de la vie challandaise. Pas toujours calmes, ces flots, si l’on s’en rapporte aux chroniques du curé Vincent Regnaudineau et de son frère, prêtre également, qui, non contents d’enregistrer aux cahiers paroissiaux les naissances, mariages et décès, signalent tous les faits de quelque importance qui se produisent dans la paroisse et que la place ne nous permet malheureusement pas de transcrire ici. »

« A dater du 24 avril 1636, ces chroniques disparaissent des archives paroissiales, dont les rédacteurs se bornent à recevoir les déclarations de baptême, mariage et sépulture, qu’ils ornementent de qualificatifs laudatifs lorsqu’elles concernent des gens de qualité. C’est ainsi que nous avons relevé, au 25 mars 1754, la naissance de Charlotte-Pauline, fille de haut et puissant seigneur messire Louis-Jacques-Gilbert-Robert de Lézardière et de haute et puissante dame Marie-Jeanne-Charlotte Babaud de la Chaussade. (La maison Robert de Lézardière blasonnait d’argent à trois quintaines de gueules, posées 2 et 1.) »
« On sait que Mlle Charlotte-Pauline de Lézardière est l’auteur de la Théorie politique des lois de la monarchie française, dont la dernière édition a paru en 1844 : ce livre a été commenté et apprécié par les premiers écrivains de notre époque… En le lisant attentivement, on est étonné, je dirais presque effrayé, de l’érudition qu’on y rencontre. Mlle de Lézardière, dont la sœur Gilberte-Aimée, poète, fut longtemps la secrétaire, mourut sans alliance à la Proutière, le 7 février 1835. »
« Grâce à elle, Challans possède quelque notoriété dans le monde des historiens. En conséquence, ne conviendrait-il pas de donner le nom de « rue Pauline-de-Lézardière » à la voie qui part du jardin public et conduit à Soullans en passant par la Vérie où naquit l’éminent écrivain ? »

Auguste Barrau a été entendu, et c’est grâce à lui que Challans possède une rue Pauline de Lézardière…

« Il importerait, en effet, de ne pas laisser tomber dans une complète indifférence la seule célébrité que Challans ait à revendiquer, car ne sauraient y prétendre ni Claude Simonot, notaire et statuaire, qui sculpta et offrit à l’église un autel à saint Symphorien (1700), ni l’architecte Clément Sapin (1743), ni Roget, maître ès arts de l’Université de Paris (1748), ni Pierre Guinet, maître de danse (1751), pas plus que Jullien-Pierre Bardou, artiste dramatique, qui partagea les succès d’Arnal au Vaudeville. »
« Ceci dit, nous ne commencerons l’histoire de Challans que lorsque fut dressé le Plan de la Traverse du Bourg, route des Sables à Beauvoir, approuvé le 1er mars 1781 par l’assemblée des ponts et chaussées à Paris. A cette époque, Challans ne formait qu’une petite agglomération. Cette route des Sables à Beauvoir constituait sa principale et, pour ainsi dire, unique artère, la Grand’Rue, sur laquelle venaient se greffer, embryonnaires : le chemin d’Apremont, la route de Palluau, le chemin du Fief-des-Minées et du Moulin de la Court (sic) qui rejoignait, en face, celui des Soupirs. On arrivait ensuite aux Halles derrière lesquelles s’amorçaient : à gauche, la route de Machecoul par l’Erceau ; à droite, la petite rue de la Chapelle, aujourd’hui de la Redoute, et celle de la Fontaine, autrefois des Trois-Moulins. En suivant la traverse, s’allongeait, à droite, par suite du retrait des maisons, une bande triangulaire de terrain où, le mardi, se tenait le marché aux volailles. La Cure se trouvait un peu plus loin, à quelques pas de la ruelle Traversière dans le quartier de la Basfrerie, et la Chambre littéraire tenait ses réunions dans un immeuble appartenant M. Viaud, situé au coin de la Grand’Rue et de la rue de l’Eglise qui aboutissait à l’ancien cimetière. A une distance d’une centaine de mètres s’ouvrait, près de la maison Simon, le chemin du Perrier, rue du Marais actuelle, enfin, la route filait, bordée des deux côtés par les propriétés Laidet, Vaironneau, Darmiau et Degounor. »

Le quartier de la « Basfrerie… »

« Vint la Révolution. Durant ses années tragiques, Challans vécut dans de continuelles transes et souffrit autant des blancs que des bleus. Si le chemin des Soupirs fut rougi du sang des « brigands », en d’autres chemins coula aussi abondamment celui des « patauds » [1]. La bête humaine, féroce, multiplia ses gestes de destruction et de mort sans distinction d’opinion ni de croyance. Laissons dormir en paix ces victimes de deux causes opposées. »

« Après une si formidable secousse, Challans respire, se reprend à vivre, retrouve son activité et avant d’édifier, songe à réparer : aussi son zèle reste-t-il sans apparente efficacité. Pourtant, il rouvre une école avec M. Bardou, une autre avec M. Précourt, mais toutes les deux durent fermer pour insuffisance d’écoliers. Il en fut de même de celle dirigée par M. Fréon auquel succéda M. Lage, ancien maître d’études au lycée de Nantes. Aux difficultés existantes vient, en 1811-1812, s’adjoindre la disette. Le blé, haussant de semaine en semaine, dépasse le cours de 900 francs le tonneau. La misère est à son comble et les rues challandaises regorgent de mendiants. »
« En 1828, le Conseil municipal accepte le plan d’alignement proposé pour la traverse de la route départementale des Sables à Nantes. La commune compte alors 3.307 habitants et la garde nationale 163 hommes. »
« Il faut attendre une quinzaine d’années avant d’enregistrer un développement appréciable. Ce développement résultera de la convention passée, le 6 janvier 1843, entre la commune et M. Gobin. Celui-ci cède diverses parcelles de terrain, situées à gauche de la rue de la Bonne-Fontaine, pour l’ouverture de plusieurs rues – entre autres celle qui porte son nom – et l’établissement d’un champ de foire et d’une place. En 1845-1846, sur cette place s’élèvera le marché couvert, Halle-Neuve, qui, le mardi comme aujourd’hui, sera le centre d’importantes transactions. »

« Challans prend de l’embonpoint et s’en enorgueillit au point que son Conseil, en 1852, croit devoir demander son érection en sous-préfecture, étant donné, en outre, sa position privilégiée entre le Marais et le Bocage et à proximité des îles. L’année suivante, le point d’arrivée du chemin de grande communication de Bois-de-Céné à Challans est fixé à l’ouverture de la rue du Marché-Neuf, entre la mairie et la maison Montorcy : cette nouvelle percée était depuis longtemps désirée. En 1861, le bureau de bienfaisance est légataire universel de M. Linné Biochaud, notaire, dont le testament stipule la création d’un hôpital-hospice de 20 lits au Fief-des-Minées où se tenait autrefois la vieille foire de la « Notre-Dame ». Sous la pioche des démolisseurs tombe la Vieille-Halle en 1863 ; la Caisse d’épargne date de 1864 ; 1865 enregistre le vote de la « gratuité complète de l’enseignement primaire », et, le 24 novembre 1867, les cloches et l’horloge sont transportées dans le nouveau clocher. »

« 1870 : deuils et tristesses ! Challans, garnison militaire sous les ordres du commandant Dupleix, loge, chez ses habitants, les mobilisés qui, certain soir, sans l’intervention du maire M. Charles Grelier, [grand-père de l’abbé, ndlr] auraient fait un mauvais parti au sous-préfet des Sables en tournée. »
« Des courses de chevaux sont créées, en 1871, par M. de Baudry d’Asson père et ont lieu depuis, en août de chaque année. 1878-1879, le chemin de fer de Nantes à La Roche-sur-Yon, par Challans dont la subvention s’élevait à 60.000 francs, circule à la grande satisfaction du public. L’emplacement choisi route de Soullans – où se trouve l’hôtel de ville, édifié sous le majorat de M. Riou Benjamin – n’offrant pas une solidité suffisante, l’église projetée est construite, de 1893 à 1897, dans le jardin du presbytère. »
« Avec le regretté docteur Dodin, nommé maire le 15 mai 1892, une sérieuse impulsion va être donnée à toutes les affaires communales. Doué d’un grand sens pratique, tenace dans ses décisions, ne reculant devant aucune démarche pour l’embellissement et la prospérité de sa commune, le docteur Dodin fit, pendant quelques années, de la bonne besogne. On lui doit trois écoles, la station d’étalons, le marché au beurre – bien décrié à l’origine – l’éclairage électrique, etc. Il avait fait le rêve, accompli seulement en partie, de ceinturer notre ville de boulevards et de les planter d’arbres. En reconnaissance des services qu’il a rendus, son nom vient d’être donné au boulevard du Midi. »

Le maire Lucien Dodin


« Notre municipalité, qui, à sa tête, a le dévoué et accueillant M. Ballineau, maire depuis dix ans, remplit son mandat avec un zèle fécond en excellents résultats. Elle compte à son actif : le pavillon de l’enfance, les bains-douches, le jardin public, le lavoir de la Bloire, l’ouverture de plusieurs rues et boulevards, etc., et envisage la prochaine mise en œuvre de travaux très importants. »
« Petite ville essentiellement commerçante en attendant de bientôt prendre rang parmi les industrielles, Challans s’éveille en ce moment à l’art. La contemplation de ses architectures n’attardera, pas le touriste, lequel se découvrira, certes, devant son « monument aux morts », mais ne pourra s’empêcher d’en déplorer la banalité. De-ci de-là, quelques maisons élégantes ou confortables arrêteront son regard, mais s’il est partisan du style moderne et de la pure décoration géométrique, ce n’est que rue de Nantes et rue de la Paix qu’il trouvera satisfaction. »

« Pour juger de la variété et de la considérable importance de son commerce que l’étranger connaît et apprécie, il faut visiter Challans, le mardi, et ne pas redouter les bousculades, ni les escalades des cages de volailles qui garnissent la place du Marché et encombrent même les trottoirs riverains. Nantes a ses berlingots, Tours ses rillettes, Agen ses prunes et… Challans ses poulets et canards dont la chair délicate ne connaît point de rivale. Ces produits de l’aviculture régionale y convergent en si grand nombre, les jours de marché, qu’il faut plus d’un millier de cages pour les contenir et que le montant de leur vente chaque mardi dépasse 300.000 francs. Dans les rues adjacentes où se tiennent de nombreux déballages de marchandises de toute sorte, à de certaines heures la circulation devient impossible, et, dans celles un peu plus éloignées, ce sont les véhicules qui, alignés de chaque côté des maisons et enchevêtrés les uns dans les autres, réduisent la marche et interdisent toute vitesse. »

« Et, de la place du Commerce au champ de foire, une foule va, vient, grouille, se croise, se presse, crie, gesticule, cabasse aux étalages afin d’obtenir une diminution de prix et constitue la vraie « cohue » de jadis. »

« BARRAU, Publiciste. »

Sources : archives de la Shenov ; archives de la Vendée ; l’Illustration économique et financière – 22 mars 1930 (BnF Gallica) ; recherches et documents LNC.


© Les Nouvelles de Challans, 16 décembre 2024 – Didier LE BORNEC –

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