Vendée d’autrefois – Le « maraîchinage » une coutume du Pays de Monts

Le maraîchinage a dû faire la fortune des marchands de cartes postales entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. Qui n’a pas vu l’une de ces nombreuses photos anciennes où figurent deux jeunes amoureux dans leur costume maraîchin… et près d’eux, le fameux parapluie qui peut servir à les dissimuler ?

Été comme hiver, même s’il ne servait pas à se cacher, le parapluie était « l’accessoire indispensable, » le symbole, « l’emblème vénéré de l’amour maraîchin… » (Marcel Baudoin).

En 1900, le docteur Marcel Baudoin (Croix-de-Vie 1860-1941), également historien, archéologue, un temps maire de La Barre-de-Monts… publia un ouvrage sur ce sujet : Le Maraichinage (1) coutume du Pays de Mont (sic), ouvrage scientifique où il donne les généralités, puis une série de descriptions : éthique, physiologique… de cette tradition très locale. Pour la troisième édition augmentée de 1906, Marcel Baudoin indique dans son introduction : « … Les mères ne pourront pas recommander à leurs filles la lecture de ce livre ; mais il est intéressant pour l’Anthropologiste et l’Hygiéniste… »

Cet opuscule obtint un beau succès et fut réédité cinq fois jusqu’en 1932. Boris Vian, qui connaissait bien Saint-Jean-de-Monts, en a même fait un pastiche : Pérennité du Maraichinage, essai de normalisation à la manière de l’A.F.NOR. (Association Française de Normalisation) – où il fut ingénieur.

(1) On écrivait souvent à l’époque maraichinage, maraichin… sans l’accent circonflexe qui a remplacé le « s » du mot maraischin en vieux français, comme asne est devenu âne, ou teste : tête…

Marcel Baudoin écrit donc vers 1900, au chapitre étymologie : « Il existe encore, dans le Marais mouillé de la Vendée, dit Marais septentrional ou Marais breton, ou encore Marais de Mont, – de formation récente et post-romaine, – une coutume très particulière, appelée le Maraichinage. Elle a reçu cette dénomination, parce qu’elle n’est pratiquée que par les habitants de ce marais, qui portent plus spécialement le nom de Maraichins (…) Cette habitude, extrêmement curieuse (…) est inconnue dans le reste de la Ven­dée, comme d’ailleurs dans toute la France. On l’ignore complètement, même dans les autres marais du rivage de l’Atlantique vendéen, qu’on appelle le Grand Marais poitevin et le Petit Marais de la Gachère. » Vient après la description clinique de cette coutume « qui consiste dans un accouplement bucco-lingual, effectué, dans des con­ditions données, entre un jeune maraichin et une jeune maraichine, à l’âge où l’amour pousse dans le cerveau très neuf de nos alertes et vigoureux compatriotes, au moment où les sens s’éveillent. » En d’autres termes un baiser à n’en plus finir « de bouche à bouche, accompagné d’introduction de la langue; exécuté More Columbino, c’est-à-dire à la ma­nière du ’’becquetage des colombes’’ (!) »

Ce pays maraîchin s’étendait vers Le Perrier, jusqu’à Challans… « Viendras-tu à Challin à côté de l’Allée des Soupirs ? » ou Chemin des Soupirs, qui était réputé comme lieu de « maraîchinage » !

Quant à l’objectif : « D’après Erdna (2), les jeunes maraichines disaient jadis, pour ’’maraichiner’’ : pêcher les galants. Ce terme est très explicite et très éloquent. Il indique net­tement le but poursuivi : la recherche du mari rêvé ! Après cette expérience, les amoureuses sont fixées sur l’époux qu’elles croient devoir choisir. C’est donc, pour le beau sexe, une sorte d’essai avant la noce ; et, pour le maraichin, un préliminaire obligé de la de­mande en mariage (…) »

(2) Note de l’auteur : « Erdna. Le Maraischinage. Interm. nantais, 7 déc. 1903 [Note de quelques lignes]. – Erdna est le pseudonyme d’un vieux Challandais, d’une érudition remarquable, habitant aujourd’hui la Bretagne. »

Une tradition en déclin et interdite

Plus loin, Marcel Baudoin fait part d’un « très vif regret : celui de voir diminuer chaque jour (mais non pas en vertu des lois de l’hygiène et de la morale) une tradition aussi ancienne, qui, « sous l’allure d’un faux libertinage, conserve quelque chose de délicieusement idyllique et une exquise naïveté », et qui, somme toute, a une réelle valeur comme méthode de lutte contre la dépopulation ! »

Mais une « lutte contre le maraichinage » existait aussi. Elle ne venait pas vraiment du clergé selon Marcel Baudoin, ou alors, elle « n’a jamais, à dessein, dû être menée très vigoureusement, » les prêtres ne souhaitant pas contrarier les femmes… Les maires furent plus sévères, même très durs parfois, comme à Challans. Marcel Baudoin parle également d’un arrêté, célèbre dans la région, pris en 1882 par Mathurin Caiveau, maire de Saint-Jean-de-Monts :

Le Maire de la commune de St Jean de Monts. – Considérant que des jeunes gens et des jeunes filles de la commune, commettent des actes contraires à la morale et outrageant la pudeur, en se livrant au maraichinage – Considérant, en outre, que ces actes ont lieu dans les cabarets et sont tolérés par les Débitants,

Arrête

art. 1er – Le maraichinage est interdit tant sur la voie Publique que dans les auberges et cabarets.

art. 2 – Les jeunes gens et jeunes filles qui si (sic) livreraient seraient passibles des peines portées en l’article 330 du code pénal.

art. 3 – Les Débitants qui le toléreraient dans leur Etablissement seraient poursuivis comme receleurs.

art. 4 – La Gendarmerie et le garde-champêtre de la commune sont chargés de l’exécution du présent arrêté.

Mairie de St Jean de Monts le 14 mai 1882 – Le Maire, Min Caiveau.

L’arrêté du 14 mai 1882 du maire de Saint-Jean-de-Monts, et dessous, l’article 330 du code pénal « Section IV Attentats aux mœurs » (Dalloz édition 1989-1990 – LNC)

Cependant, ça n’y fit rien… « Les aubergistes payaient une personne qui les prévenait de l’arrivée de la police. A ce moment, filles et garçons cessaient leurs embrassades et paraissaient causer sérieusement ; mais, après, que de joyeux ébats ! »

Enfin, concernant le déclin du maraîchinage, Marcel Baudoin conclut sur une note antimilitariste bien vendéenne : « C’est plutôt, à mon avis, le service militaire obligatoire, qui est la cause de la modification actuelle. Les hommes, après avoir passé par le régiment, deviennent plus timides et plus respectueux des lois modernes… » Et pour lui, « (cette coutume) sera morte bientôt, sans doute avant cinquante ans. Et on ne trouvera peut-être alors rien pour la remplacer avec un avantage marqué ! »


Sources : Marcel Baudoin ; cartes postales : archives de la Vendée et geneanet.org ; recherches et archives LNC.


© Les Nouvelles de Challans, 9 novembre 2024 – Didier LE BORNEC

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