Challans – Le « calvaire breton » de la Grand’ rue : « honneur de la paroisse » en 1881

Le calvaire dressé à la pointe de la rue Carnot et de la rue Emile Cavoleau à 144 ans, et un panonceau placé sur le côté explique qu’il s’agit d’un « très beau calvaire breton (qui) a probablement remplacé une ancienne croix érigée en ce lieu. En effet, on relève sur le cadastre napoléonien, établi en 1832, un lieu-dit dénommé le Calvaire Neuf : à l’emplacement même où se trouve actuellement la Croix de Mission, » (mais c’est une certitude : nous avons trouvé des précisions à ce sujet, voir plus bas).

L’autre nom donné au calvaire : « croix de mission, » vient du fait qu’il a été élevé pour célébrer le « jubilé de 1881, » (année sainte).

Indication gravée à l’arrière du calvaire

En fait, le cadastre napoléonien n’indique pas un lieu-dit, il montre l’emplacement du « Calvaire Neuf » figuré par un dessin – comme le Moulin du Cailloux Blanc (sic) plus bas. Un monument devant lequel passe le « Chemin du Calvaire Neuf au Cimetière, » aujourd’hui la « rue du Caillou blanc, » et qui devient de l’autre côté le « Chemin du Calvaire Neuf à la Noüe, » soit une partie de l’actuel boulevard de Strasbourg, puis la rue du Petit Bois. La rue Emile Cavoleau n’était encore que « l’Ancien chemin de Pont Abert à Challans, » et la rue Carnot était alors la « Grande Rue, » ou… la Route de Beauvoir sur certaines cartes postales…

Le « calvaire breton » après 1896 et l’ouverture de la ligne de tramway Challans / Fromentine – la maison sur la gauche existe encore (c’est de nos jours la boutique d’un cordonnier), les autres, à droite, ont été transformées

Un monument en granit des Côtes-d’Armor

On apprend sinon, sur le panonceau, que « ce monument en granit de Lannion, » ville des Côtes-d’Armor – alors Côtes-du-Nord – a été réalisé par le sculpteur breton Yves Hernot. Il était à la tête d’un « Atelier de sculpture » portant son nom, spécialisé dans la création de calvaires et de tombeaux, atelier situé à Lannion également.
De chaque côté de la croix se tiennent « deux statues, représentant à gauche la Vierge Marie, avec sur le socle l’inscription : Ecce mater tua, » (voici ta mère) ; et à droite, « l’apôtre Saint Jean, sur le socle duquel on peut lire : Ecce filius tuus, » (voici ton fils).

La statue de la Vierge, le granit a aujourd’hui perdu de son lustre…

Des nouvelles du « calvaire neuf » en 1881

Mais des informations, intéressantes historiquement et humainement, sur la vie d’une majorité de Challandais à la fin du 19e siècle, et sur le calvaire à l’époque de son édification, ont été données « en direct » par Adolphe Michaud, vicaire de Challans, dans « La Semaine catholique du diocèse de Luçon » du 18 décembre 1881.

L’article s’intitule : « Bénédiction d’un Calvaire, » et l’on commence par en savoir plus l’ancien monument, soit le fameux calvaire neuf : « Depuis bien des années déjà, le temps qui détruit tout avait renversé notre croix de mission. Tous les cœurs chrétiens en souffraient et faisaient des vœux pour voir réapparaître ce symbole de leur foi… »

« Rien de plus beau, gracieux et en même temps de plus imposant »

« Grâce à Dieu, Challans aujourd’hui peut être fier ; il possède son calvaire, chef-d’œuvre d’art sorti des ateliers de M. Hernot. C’est le véritable granit de Bretagne, le plus beau et le plus fin, habilement travaillé. Tous les yeux le contemplent, tout le monde l’admire. Il est difficile, en effet, de trouver dans le genre quelque chose de plus beau, de plus gracieux et en même temps de plus imposant. Le mérite en revient à l’artiste et aussi à notre intelligent et zélé pasteur qui, dans cette circonstance comme toujours, s’est montré d’un dévouement admirable. » Le vicaire parlait sans doute de l’abbé Boissinot.

Le maire Edouard Riou nommé par Mac Mahon

Cependant, Adolphe Michaud ajoute : « Certains, toujours empressés à attaquer tout ce qui est beau et bien, toujours heureux d’exercer leur haine contre la religion ont voulu, dans leur haute sagesse, crier au scandale et accuser la fabrique [comité d’administration d’une paroisse] de courir à sa ruine. Mais que nos sages se rassurent !… Nous avons à Challans d’honorables familles qui savent comprendre les grandes œuvres, les œuvres catholiques. C’est à elles, c’est à leur générosité que nous devons ce beau et magnifique monument qui sera l’honneur de notre paroisse. Qu’elles reçoivent ici nos félicitations avec l’expression de notre sincère reconnaissance. »

Nous sommes sous la IIIe République, le maire de Challans, Edouard Riou, a été nommé le 5 février 1878 sur décret du « Président de la République Française, » lequel est, depuis 1873… le monarchiste maréchal de Mac Mahon… Mais depuis les élections de 1877, il est contraint de gouverner avec des ministres républicains – un genre de cohabitation. Mac Mahon donnera sa démission en janvier 1879…

« Un long et imposant défilé d’une foule pieuse et recueillie »

La fabrique n’est pas ruinée, donc, et devant tant « de beauté et de grâce, » il fallait « une fête digne de notre monument. Le 11 décembre fut le jour choisi pour la bénédiction du calvaire. Dieu, du haut du ciel, sourit à notre projet. Dés le matin, il fit briller son soleil et nous accorda une délicieuse journée de printemps. A deux heures, les cloches envoient dans les airs leurs joyeuses volées. On chante les Vêpres, et aussitôt la procession se met en marche. Je ne dirai rien de ce long et imposant défilé, de cette foule pieuse et recueillie qui parcourt gravement les rues de notre ville en récitant le rosaire. Chacun sait combien ce spectacle est beau et édifiant. Qu’il me suffise de dire que tout se passa dans l’ordre le plus parfait. Une sainte joie rayonnait sur tous les fronts, tout le monde paraissait heureux.
« Bientôt on arrive au pied du monument, autour duquel de longues files d’hommes et de femmes viennent se masser. C’est alors que paraît le R. P. Blanchard, de l’ordre des Dominicains. Il y a quinze ans déjà, l’éloquent missionnaire avait prêché avec un grand succès une mission à Challans. Son souvenir était resté vivant dans tous les cœurs, aussi son retour parmi nous fut-il accueilli avec enthousiasme. Après Dieu, c’est à son éloquence, à son cœur d’apôtre que nous devons le succès de notre jubilé. »

Cette mission de 1865 avait été marquée par la mise en place d’un autre calvaire, rue Saint Dominique, mais qui fut remplacé en 1886 par l’actuelle colonne Notre-Dame du Rosairevoir les détails dans un article d’avril 2022.

Adolphe Michaud poursuit : « Au pied de la croix, » le révérend père Blanchard « fut sublime. Après avoir déroulé en peu de mots et d’une manière saisissante l’histoire du calvaire, il s’arrêta à ces trois pensées qu’il sut développer avec un talent au-dessus de tout éloge : 1° la croix, c’est le drapeau du chrétien ; 2° la croix, c’est l’emblème de la paix et de la liberté ; 3° la croix, c’est le signe distinctif du Vendéen.
Pendant près d’une demi-heure, il nous tint suspendus à ses lèvres. Qu’il était beau de voir cette multitude pressée, attentive, recueillant chaque parole de cet homme de Dieu !!! Visiblement tous les cœurs étaient, émus. »

« Ce qui a fait la renommée du Vendéen… »

« Mais l’émotion fut à son comble, lorsque l’orateur, développant sa dernière pensée, s’écria : « Oui, la croix, c’est le signe distinctif du Vendéen. Qui dit Vendéen, dit catholique, et la marque du catholique, c’est la croix… Ce qui a fait la renommée du Vendéen, c’est sa foi, c’est sa fidélité à ses principes de citoyen et de chrétien. Pour les affirmer, il sait se montrer, il sait se sacrifier, et au besoin il sait verser son sang… Vendéens, soyez donc toujours dignes de votre drapeau, dignes de votre croix, aimez-la, honorez-la, défendez-la, si jamais elle était insultée. – Un soldat meurt pour son drapeau ! »

« Après cet éloquent discours, M. le curé de Challans bénit solennellement le nouveau calvaire, et de toutes les poitrines on entendit s’échapper ce chant de triomphe : Vive Jésus ! Vive sa Croix !
« Emue, touchée jusqu’aux larmes, la foule se remit en procession pour revenir à l’église où l’attendait une brillante illumination, habilement préparée par M. l’abbé Boissinot. C’est là que tous, avant de nous séparer, nous avons reçu la bénédiction du saint Sacrement.
« Ainsi s’est terminée cette pieuse et sainte journée dont les habitants de Challans garderont un délicieux souvenir.

« A. MICHAUD, vicaire de Challans. »

Sources : les Archives de la Vendée : « La Semaine catholique du diocèse de Luçon » ; la ville de Challans ; la Shenov ; recherches et documents LNC.


© Les Nouvelles de Challans, 17 mars 2025 – Didier LE BORNEC –

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