Challans 1856 – « Pierre et Marguerite, » une belle et drôle d’histoire d’amour maraîchine

En 1935, à l’occasion de la sainte Marguerite, le journaliste challandais Auguste Barrau – pour rappel : laïque et farouche républicain, – raconta dans le journal Le Phare une histoire d’amour touchante et amusante qui s’était déroulée presque 80 ans plus tôt, et dont il fit un « conte challandais… »

« Une Sainte Marguerite bruyamment annoncée »

Din, don, din, don, din, don, digue don, din, don, dig din don, don don, dig din don, don don. Et dans la nuit noire, sur la ville endormie, en ce juillet 1856, la petite cloche, précipitant ses appels, déversa sans répit des sonorités aiguës et effarantes.
Challans se réveilla en peur. Les lits furent brusquement quittés et leurs occupants, allumant vite les chandelles, constatèrent qu’il était un peu plus de minuit et se demandèrent, anxieux, puisque la cloche ne sonnait plus le tocsin, quel événement tragique pouvaient bien annoncer ces « bôôms » désespérés.
Dans la Grand’Rue, dans la rue de la Bonne-Fontaine, des fenêtres s’ouvraient d’où tombaient des questions aux porteurs de falots marchant à pas précipités du côté de l’église.
– Qu’y a-t-il ?
– Y ein savaons rin, y allaons voir.

En juillet 1856, il s’agissait d’une petite cloche de l’ancien clocher… de l’ancienne église… Le « nouveau, » seul survivant de cet édifice, fut construit en 1862.

Bientôt, il y eut foule autour du sanctuaire où M. le curé, quelques marguilliers et les sacristains venaient de pénétrer. Et, à la lumière des cierges prestement allumés et des lanternes des arrivants, on vit, tirant énergiquement sur la corde de la petite cloche, Pierre Varineau qui paraissait fort surexcité et ne voulait lâcher prise. Il lui fallut pourtant céder à l’intervention un peu brutale de quelques-uns de ses concitoyens, mais ni M. le curé, ni M. le maire qui venait d’arriver, ne purent tirer de lui autre chose que cette excuse :

– Je venais annoncer la fête de Sainte-Marguerite !

Ce pieux motif était d’autant moins acceptable que Pierre Vanneau était un mécréant qui ne mettait les pieds à l’église que les jours de fêtes « commandées, » et cette nocturne adoration pour sainte Marguerite ne s’expliquait pas !

Pierre Varineau, fils du maître charpentier dont l’atelier était prospère, n’avait jusqu’alors causé le moindre scandale. On le savait quelque peu paresseux, faisant souvent naître l’occasion de « chopiner, » mais bon ouvrier, serviable et gai compagnon. On s’étonnait donc de son équipée et les langues marchèrent bon train pour en connaître la cause. Vainement interrogé par le commissaire et les gendarmes [Challans avait alors un commissaire de police – ndlr], il fut néanmoins gratifié d’un procès-verbal pour… tapage nocturne ; mais des sanctions judiciaires qui, nécessairement, en résultèrent, aucune trace n’existe dans les minutes de la justice de paix.

A la suite de cette aventure, Pierre Varineau devint un nouvel homme et son entourage en fut agréablement surpris. Le premier et le dernier au travail, il ne perdait pas une minute, et plus jamais ne mettait le pied aux auberges. Ses camarades se gaussaient de lui et l’invectivaient de quolibets dont il n’avait cure. Puis un beau jour, on apprit qu’il allait se marier avec Marguerite Létourneau, orpheline, belle fille de 25 ans, agréable de manières et de parler, propriétaire de la maison qu’elle habitait à la Croix-de-Mission et d’un grand lopin de terre à la Rive.

Le quartier de la « Croix-de-Mission, » ancienne « Grand’ rue » et actuelle rue Carnot.

Marguerite exerçait fructueusement le métier de lingère, occupant, hiver comme été, deux ouvrières et plusieurs apprenties, car elle comptait une nombreuse clientèle que lui valait la « perfection » qu’elle apportait dans le « tuyautage à la paille » des coiffes du pays.

Si la profession lucrative de chacun des fiancés égalisait leur situation, leur âge, par exemple, comportait une différence appréciable, car Pierre Varineau entrait dans sa quarante-cinquième année. Mais c’était un gaillard solide, au teint mat, à la chevelure abondante, au visage agréable et sympathique et à l’intelligence vive : le mariage ne surprit donc personne.

La noce fut des plus brillantes et, au repas du soir, quand le gâteau de la mariée fut déposé sur la table, Pierre se leva et, non sans une certaine émotion, déclara : « Mes chers amis, je vous dois une explication, bien qu’il m’en coûte ! Vous vous rappelez la nuit de la Sainte-Marguerite où j’ai si fortement « brimballé » la petite cloche ? Si je me suis livré à cette coupable excentricité, c’est que Marguerite Létourneau – aujourd’hui ma chère femme – que je courtisais et à laquelle, en lui souhaitant sa fête, j’avais renouvelé ma demande en mariage, m’avait, une fois de plus éconduit, en ajoutant qu’elle n’accepterait mes vœux et ne considérerait mon désir que s’ils lui étaient transmis, à minuit, par le son de l’une des cloches.

« Quelque peu dépité d’une telle obligation, et après m’être sérieusement abreuvé au débit de la mère Catiche, pour me donner du courage, j’ai néanmoins obéi. Je me suis rendu à l’église, m’y suis laissé enfermer et vous savez ce qui s’en est suivi. A la réflexion, j’ai compris que Marguerite voulait se débarrasser de moi en m’imposant l’exécution d’une pareille fantaisie, et que c’était uniquement ma manière de vivre qui l’empêchait d’être ma femme.

« Je ne m’étais pas trompé puisque, depuis mon changement de conduite, elle m’a toujours bien accueilli et enfin agréé ! Maintenant que le bonheur m’a souri, je ne regrette vraiment pas ma folle escapade ! » Et la petite et délurée Léontine Mérot, qui, yeux écarquillés et bouche bée, l’avait écouté, battit des mains en criant : « Vive le sonneur de cloche ! Vive la mariée ! » A. Bareau (sic).

Sources : archives de la Shenov, article d’Auguste Barrau paru dans le Phare du 21 juillet 1935 ; transcription, recherches, documents LNC.


© Les Nouvelles de Challans, 27 janvier 2025 – Didier LE BORNEC

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