Challans 1773 – On demande un maître d’école « avec de la voix pour chanter à l’Eglise »

Ou l’éducation à Challans au 18e siècle.

La gazette Les Affiches du Poitou parut à Poitiers de 1773 à 1789. Elle publiait des annonces, des nouvelles et des avis divers touchant « la Province du Poitou. » Avant la Révolution de 1789, justement, la Vendée n’existait pas, elle était le Bas-Poitou (1). Ainsi, on trouvait régulièrement dans les Affiches des informations sur Challans : des ventes de maisons, de métairies, de l’histoire, un témoignage sur le passage de Louis XIII en 1622… Et dans le numéro du jeudi 24 juin 1773, on découvre cette petite annonce :

« On demande pour la paroisse de Challans, en Bas-Poitou, un Maître propre à y tenir les Petites- Ecoles, à enseigner les Humanités (2), l’Ecriture & l’Arithmétique. On désire aussi qu’il ait de la voix pour chanter à l’Eglise, & aider en cette partie MM. les Ecclésiastiques à tous les Offices des Dimanches & Fêtes, ainsi qu’aux Messes de Fondation & autres qui se disent les autres jours, & aux Enterrements. On y suit l’usage Parisien… »

(1) La Vendée demeura longtemps une partie de la Région Poitou, avant d’être rattachée… en 1956… à la nouvelle région des Pays de la Loire.
(2) « Humanités » définition du Dictionnaire universel d’Antoine Furetière (1690) : « Humanitez, au pluriel, signifient les lettres humaines, la Grammaire, la Rhetorique, la Poësie, &c (…) » (orthographe du 17e). Quant à la rhétorique, ce mot peut se dire « dans les Colleges de la classe où on enseigne l’Art Oratoire. »

Les « Petites écoles » – mixtes, – étaient encouragées, et le plus souvent dirigées par l’Eglise. Les « Maîtres » pouvaient êtres des curés, ou des laïcs qui étaient en même temps chantre (personne qui chante aux offices religieux). C’est après la Révolution que l’Etat va chercher, peu à peu, à mettre en place un enseignement public – mais longtemps réservé aux garçons.

(Illustration) « Saint Jean-Baptiste de La Salle enseignant » / « San Giovanni Battista de La Salle a scuola, » toile de Cesare Mariani (1826-1901) – (Saint) Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719) fut le fondateur des « Frères des Ecoles Chrétiennes. »

Une description du Challans d’il y a 250 ans !

De plus, dans cette annonce des Affiches du Poitou, laquelle prend la moitié d’une page, le rédacteur donne une description de Challans au 18e – peut-être enjolivée, comme on le ferait aujourd’hui… pour attirer des médecins :

« Challans est un gros bourg, situé dans le Diocèse de Luçon, dont il est éloigné de 14 lieues (3), à 10 lieues de Nantes, 3 de Machecoul, 3 de Beauvoir-sur-Mer, 7 des Sables d’Olonne, & 40 de Poitiers. Le lieu est agréable & sain ; il s’y tient un marché considérable toutes les semaines ; on y trouve abondamment toutes sortes de Marchandises & denrées nécessaires à la vie. »

(3) Une lieue correspond à environ 4 kilomètres : les distances données sont approximatives, surtout pour les Sables-d’Olonne, même « à travers champs » !

C’est au Maître d’être à la hauteur…

Il est aussi indiqué que « Le Clergé de cette paroisse, pieux & honnête, est composé d’un Curé, de deux Vicaires & de plusieurs prêtres habitués. Les Magistrats, sages & éclairés, ne désirent que le bien public ; les habitants sont affables. Ce Maître peut se flatter d’y être bien accueilli par tout le monde, s’il y apporte des mœurs & des talents, dont il devra produire des certificats. Il pourra tenir pension, & avoir beaucoup d’écoliers, dont il sera payé tous les mois. Indépendamment de ces moyens, on lui assurera un fixe annuel de 100 tt (4), payable par quartier, sur les revenus de la Fabrique (5), & 10 tt aussi par an, que lui payera la Confrairie du Rosaire [orthographe de l’époque (6)], pour son chant aux Messes de Fondation. Son assistance à d’autres Messes particulières, aux Enterrements & aux Services, lui produira encore un bon casuel [revenu variable]. Il fera de plus dans la paroisse, au temps de la moisson, une quête qui pourra lui valoir de 20 à 30 boisseaux de tous grains, (le boisseau pèse 72. liv.) mais cet article n’est qu’une libéralité volontaire des habitants, qui aura lieu seulement selon que l’on sera content de ce Maître. S’il étoit Prêtre, on le préféreroit à tout autre ; il auroit plus de ressources encore, surtout à cause de la desserte (7) qu’il pourroit avoir d’une Chapelle Domestique qui est dans la paroisse. Celui à qui ces conditions peuvent convenir, fera bien de se présenter le plutôt possible, afin de se procurer un logement, parce que le terme du loyer des maisons est à la St Michel (8). »

(4) « 100 tt » 100 livres tournois, ce serait de nos jours environ 1136 euros.
(5) « Conseil de la fabrique, » ou « fabrique » : ensemble des clercs et des laïcs chargés de l’administration des fonds et des revenus affectés à une église.
(6) La « Confrérie du Rosaire avait été [établie] en l’église de Challans le 12 février 1631, » selon l’abbé Charles Grelier.
(7) Desserte : service assuré par un prêtre, ici dans une « chapelle domestique, » soit une chapelle privée, par exemple dans un château.
(8) Saint Michel : le 29 septembre, date traditionnelle de paiement des loyers et des fermages.

Le « chantre » et le « régent »

Pour aller plus loin, on trouve dans les archives de la Vendée le texte de la « Nomination de Bonnamy pour Régent » qui eut lieu le 24 mars 1754. Furetière écrit dans son dictionnaire : « Régent (…) professeur public des Arts ou des Sciences, qui tient une classe dans un College (…) On dit un Regent de Rhetorique, & des basses classes [sinon] ceux de Philosophie s’appellent plus tost Professeurs (…) »

Dix-neuf ans avant l’annonce de 1773, les rétributions étaient les mêmes : Jean Bonnamy était nommé dans le contrat « Chantre et Régent, » et il était payé « par la fabrique » de l’église Notre-Dame de Challans « la somme de cent livres par an, et par le procureur du Rosaire la somme de dix livres par an payable à l’échéance de chaque quartier… » Le régent pourra là aussi « faire glane » en blé : glaner ?

Emploi du temps

Concernant les élèves, « il luy sera payé par chacun de ses écoliers enfants de cette paroisse par chaque mois la rétribution scolaire suivante, sçavoir par chaque enfant qui sera à l’a.b.c. la somme de sept sols [6,30 euros] ; par les enfants qui seront au psautier [livre des psaumes] la somme de sept sols ; par ceux qui liront en françois et en latin la somme de dix sols ; par ceux qui aprendront à lire et écrire la somme de quatorze sols ; et pour ceux qui aprendront à lire et écrire et l’arithe methique [sic !] la somme de vingt sols… »
Côté contributions : « … à la charge par ledit sieur Bonamy d’observer exactement les ordonnances et règlements faits par Mondit Seigneur l’Evesque au sujet des chantres et régents ; d’assister exactement et chanter aux offices, grandes messes, vespres, processions, tant de fondation que des confrairies du Rozaire, St. Sacrement &c. qu’on a accoutumé de chanter en laditte Église et paroisse ; à la charge qu’il enseignera par Charité six pauvres écoliers qui luy seront nommés par Monsieur le curé de cette paroisse, et qu’il tiendra son écolle au moins deux heures le matin et deux heures le soir (…) »

L’ancienne église de Challans côté Sud – elle se tenait sur l’actuelle place de l’Abbé Grelier (reconstitution)

Sources : recherches et archives LNC ; les Affiches du Poitou (BnF Gallica) ; archives départementales de la Vendée.


© Les Nouvelles de Challans, 25 juillet 2025 – Didier LE BORNEC

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