Challans – Les « suppliques d’outre-tombe » du quincaillier Sylvain Bailly

Aujourd’hui président de la société d’histoire de Challans, Erick Croizé a – au minimum – trois grandes passions : l’histoire bien sûr, le théâtre, et l’écriture. Et l’un de ses plus grands plaisirs est de les réunir toutes trois, comme cet été, au détour d’une visite guidée inédite du cimetière du Caillou blanc.

Rien de triste, rien de sombre ici, au contraire. Erick Croizé fait revivre – et rend hommage à – une vingtaine de Challandais disparus, connus, inconnus ou oubliés… mais souvent haut en couleur.

Le photographe Gaston Ligneron ; la famille Roux ; Monique et Raymond Raballand, créateurs du « Bal à Raballand ; » Raoul Breteau ; Théo Rousseau ; Marcel Douillard… l’abbé Grelier… Le tout entrecoupé d’anecdotes, d’explications : le pourquoi de la curieuse disposition du cimetière, le sens des symboles qui ornent les tombes… et ! arrivant devant celle de « Sylvain Bailly, frère de Léon, père d’André, » Erick Croizé abandonne son rôle de guide et sort de ses poches un texte que lui a inspiré le célèbre quincaillier, une supplique venue d’outre-tombe pour la défense du patrimoine, et qui est l’occasion également de ressusciter le vieux Challans :

Messieurs les urbanistes…

« Vous avez, dans les années 1970, pour installer une supérette, détruit la quincaillerie épicerie Salmon, où mon père fit son apprentissage, sous la gouvernance de mon oncle. Vous avez dans la même opération, fait disparaître la rue Louis XIII, certes modeste, reliant la Grande rue à la Rue de la Cure, et la maison de l’abbé Grelier avec son immense jardin… »

La quincaillerie-épicerie Salmon, à gauche, à côté du bureau de tabac

« Aujourd’hui, vous démolissez, rue Bonne Fontaine et rue de la Concorde, la première quincaillerie Bailly, ouverte en 1892, la maison où je suis né, ainsi que mon frère. Je sais, vous allez redonner vie à la Place du Champ de Foire avec la construction des halles, place devenue un vaste parking, alors que c’était un lieu de fête important. »

À cet endroit se tenaient des foires « qui réunissaient près de 2000 bêtes certains mardis, et les Foires expositions de mai et de septembre. On y fêtait aussi le 14 juillet, et c’était moi l’artificier (j’aurais d’ailleurs pu y perdre une main). On y projetait, en plein air, du cinéma : c’est le mur des réserves de notre magasin transféré en 1919 qui servait d’écran. De nombreux grands cirques, de juin à l’automne, y plantaient leurs chapiteaux, et toute l’année, des montreurs d’animaux, de panoramas, des troupes ambulantes de théâtre, de music-hall, s’installaient pour une semaine. La fête foraine de septembre y resta fort longtemps, et les premiers gymkhanas automobiles (2) s’y déroulèrent. En 1937, pour la fête de Jeanne d’Arc, un grand tournoi de basket s’y déroula. L’année précédente, cette Grande fête de Jeanne d’Arc, organisée par la commune, fut confiée au Cercle Catholique et quelques associations, dont la Société hippique… »

(Photos tirées des cahiers de l’abbé Grelier – Archives de la Vendée)

Des trains spéciaux venus de Fromentine apportèrent des renforts de spectateurs. Au programme : « messe, défilé de la Sainte Cécile, sonneurs de cors de chasse, tambours des sapeurs pompiers, gymnastes de l’Étoile du marais, le défilé de Jeanne d’Arc en armure, du Roi Charles VII, de Gilles de Retz accompagnés de 33 seigneurs qui disputèrent l’après-midi des joutes sur le Champ de foire devant 7000 personnes. »

Protégez cette modeste façade

Le soir, ce fut : « une retraite aux flambeaux, puis un spectacle avec neufs tableaux vivants « radiophoniques » présentés sur un plancher de 150 m2 par 200 figurants et quelques talents locaux. Raoul Breteau, Jean Mourain et Henri Juteau sont les principaux artisans de cette réussite. Je passe sur tous les rôles que j’ai joué sur les planches de la salle des fêtes et sur les matchs de football avec le Sporting club depuis 1920. Messieurs les urbanistes, n’abîmez pas la seule trace qui reste de cette époque, difficile mais aussi extrêmement joyeuse. Protégez cette modeste façade de notre quincaillerie qui avec la bourrellerie Barillon et le Garage moderne sont les derniers témoins du passé des commerçants challandais, qui comme moi, depuis de longues années sont dans ce cimetière. »


(1) Prochaines visites les 3 et 24 août – rendez-vous à 10 h sur le parking du Bois du Breuil. Réservation : 06 07 96 51 37 – tarif unique : 2 euros.
(2) Ensemble d’épreuves, en voiture ou à moto, où les concurrents doivent parcourir un itinéraire compliqué de chicanes et d’embûches [Larousse].


© Les Nouvelles de Challans / Erick CROIZÉ – 15 juillet 2022, Didier LE BORNEC

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